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9 | Être perdu
Récit de Julien
Mon collègue et proche voisin Patrick Rousseau a débarqué aux Chênaies sans crier gare et j’ai tout de suite compris qu’il a quelque chose à me dire. Alors je l’ai pris par les sentiments et lui ai offert un verre de bon vin blanc. Patrick, je le connais depuis mon arrivée à la ferme et nous sommes devenus amis, à la mode de la campagne, sans effusions mais avec loyauté. Il m’annonce que sa fille cadette qui a quitté sa maison envisage de prendre sa suite. Mais …
Car il y a un « mais ».
- « Voilà … Ophélie ne s’installerait pas seule, mais avec sa copine. »
- « Sa … copine ? Tu veux dire qu’elle est … »
Il fiche ses yeux dans les miens, sans répondre. Marmoréen ! Je botte en touche.
- « Alors, comme ça, elle est amoureuse …*1 »
Je lève un bras fataliste, soupire, m’enfonce confortablement dans mon fauteuil.
- « Ce n’est ni un choix, ni une maladie *², et il me semble que tu conviens volontiers avec moi de ces postulats, Patrick ? » et comme il opine, je poursuis :
- « Alors il vous faut faire avec. Pour autant, ce n’était pas, je présume, le projet de vie qu’intimement vous aviez espéré pour votre fille et je le comprends ! On se projette dans ses enfants, d’abord, à partir de ce qu’on est soi-même vers ce qu’on voit comme un progrès, mais au travers de ses propres déterminants.
Je me souviens de l’inquiétude de ma propre mère quand, à demi-mots, je lui ai dit qui je suis. Mais votre fille a trouvé en elle l’assurance de qui elle est et la force de s’en ouvrir à vous, ses parents. De la sorte, elle a fait un pari, celui de votre intelligence du cœur.
Et toi, tu te réjouis de la retrouver, tu sais, cette petite fille volontaire qui t’emboîtait le pas et te regardait avec des yeux pleins d’admiration pour son papa formidable. Alors est-ce que tout est bouleversé parce que c’est une fille qu’elle aime ?
Oh ! Regarde-toi, là ! Tu es dans ma maison, tu t’assois dans mon fauteuil et tu dégustes mon vin avec plaisir ! Tu plaisantes même avec moi pour ce qui concerne les jeux favoris de chacun de nous, avec ce que je sais être de l’amitié … Tu ne te sens pas en danger, ni contaminé, non ? … Alors qu’est-ce qui serait différent quand il s’agit de ta propre fille ?
Dis-moi plutôt, comment est-elle, ta belle-fille ? »
- « Elles parlent de se marier, Julien ! »
« Mais tu voudrais qu'elle soit ta reine ce soir / Même si deux reines c'est pas trop accepté / Mais tu voudrais qu'elle soit ta reine ce soir / Toi, les rois tu t'en fous, c'est pas c'qui t'plaît / Mais tu voudrais qu'elle soit ta reine ce soir … » *3
- « Alors réjouis-toi, Patrick ! Elle pense avoir trouvé un havre suffisamment sûr dans ses bras ? Quelle chance vous avez qu’elle ne soit plus à errer sur les chemins, exposée, indécise et qu’elles reviennent vers vous, toutes les deux, pour vous prolonger. Souviens-toi de ton incertitude inquiète jusqu’à ce que TA Sylvie te dise « oui », de la force que vous avez puisée dans votre certitude de couple.
- « Mais comprends-nous, Julien, c’est si nouveau pour nous, on est perdus ! … D’ailleurs on se demandait : QUI va-t-on inviter ? Comment on va rédiger les faire-part ? Même sa mère qui se demande comment elle devra s’habiller … »
Je ris : « mais c’est un mariage, Patrick ! Un mariage ordinaire ! Et comme tous les pères, ta fille entrera à la mairie à ton bras et tu verseras une larme sur le beau costume que tu auras mis pour cette circonstance, comme tous ceux et toutes celles qui seront heureux d’avoir été invités à les entourer, ces deux femmes que ce bonheur rendront encore plus jolies. C’est TA fille, VOTRE enfant qui se marie ! »
Amical72
*1 Pomme chante « »
*² l’homosexualité est-elle un choix ? une maladie ?
*3 « mais tu voudrais qu’elle soit ta reine ce soir / même si deux reines, c’est pas tell’ment accepté / Toi, les rois tu t'en fous, c'est pas c'qui t'plaît » Angèle chante « »
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