Premier épisode
2 | Un bout de chemin
Le récit de Julien
J’étais parvenu à énoncer clairement cette certitude : j’ai ENVIE d’un amant à mes côtés, et Mehdi me paraît tout désigné, pour peu qu’il en ait envie lui aussi.
Au moins nous faut-il essayer.
Et cette conclusion m’a forgé une détermination qui ne s’est pas démentie du week-end, de celles qui permettent de venir à bout de tous les obstacles, de surmonter tous ces petits désagréments qu’en procrastinant, on avait remis à plus tard. Avec, pour conséquence, de regonfler l’estime de soi, tout à la fierté du devoir accompli.
Ce dimanche matin, j’enfile une cotte neuve, raide et empesée comme une armure, je me botte et, armé d’un seau et d’un robuste bâton, je pars à l’assaut des ronces pour ramener ces premières mûres dont Monique saura faire de délicieuses gelées pour régaler Mehdi. Penser à sa gourmandise me fait sourire.
Puis, saoulé de soleil, mains et bras égratignés de toutes parts, je déjeune rapidement, prépare quelques affaires, selle mon alezan et je pars au méandre des moines. J’ai décidé de m’octroyer une après-midi pour prendre soin de moi et essayer de voir clair.
L’alezan ne se baigne pas, il frappe l’eau avec l’un ou l’autre de ses antérieurs et s’éclabousse, puis il plonge le mufle sous l’eau en soufflant bruyamment avant de redresser vivement l’encolure, envoyant alentour des gerbes de gouttelettes. Mais très rapidement, il se rapproche de la rive pour brouter l’herbe tendre. Je l’entrave et l’abandonne à sa goinfrerie.
Quand le courant a dispersé les volutes de limon soulevées par l’animal, je nage quelques longueurs dans l’eau fraîche. Mais mes pensées vagabondent.
Je m’allonge nu sur la serviette, sous un peuplier tremble. J’observe, au-dessus de ma tête, les feuilles au long pétiole souple qui dansent follement au moindre souffle, tantôt claires et éblouissantes d’un soleil qui, transperçant les frondaisons, pose ses doigts chauds sur moi, tantôt rabattues et sombres, me protégeant de ses ardeurs.
Je ne sais RIEN de Mehdi, pas même où il habite. Il avait balayé ma question d’un geste de la main, parlé d’un placard triste et exigu qu’il n’avait choisi que pour le local annexe permettant d’abriter sa moto. Je n’avais pas insisté. Idem pour son emploi : technicien chauffagiste, il travaille en intérim, à cause des primes. Sans plus de commentaire. Mais au moins a-t-il un travail et son indépendance, ce qui exclut les questions matérielles du champ de mes préoccupations concernant le « comment cohabiter ».
Les moments que nous avons partagés me l’ont montré soucieux d’un quotidien rationnel à quoi il apporte spontanément et efficacement sa contribution. Ainsi ne prend-il pas ma maison pour une chambre d’hôtes dans laquelle il laisserait traîner ses affaires en désordre, en invité exclusivement centré sur lui même et n’ayant aucune considération pour l’autre occupant des lieux ! C’est important, ces tâches ménagères. Elles deviennent un enfer qui emprisonne aussi facilement qu’elles nous libèrent en se répartissant. Or il semble qu’il n’en fasse pas un enjeu.
S’il est visiblement étranger au monde agricole qui est le mien, pour autant, il m’a volontiers emboîté le pas, au pré ou à l’écurie, sans manières si ce n’est sans appréhension. De même, à la rivière, s’est-il mis à l’eau ... même s’il nage comme une enclume. Là encore, il est partant pour « l’aventure », sans préalablement élever des montagnes d’exigences ou de précautions qui pourraient nous paralyser ; il me fait entrevoir la possibilité de nous rejoindre dans l’action, pour nous bâtir un vécu commun, de celui qui fonde les affections.
Et pour le « reste » … Je ne peux que supputer qu’il y trouve du plaisir et certaines réponses à ses attentes puisqu’il a pris le risque de revenir me voir après notre week-end et, s’il se réfugie dans l’obscurité par crainte d’un possible regard de l’autre, au moins parvient-il m’indiquer ce qu’il ressent, ce dont il a envie, malgré sa réserve. Je présume que ses frissons ne me trompent pas et, à évoquer sa peau douce, ses soupirs, ses moiteurs, je me sens redevenir un bouc aveuglé d’hormones.
Tiens, là je donnerais cher pour qu’il soit là, alangui, prêt à se planter sur ma queue qui le désigne comme un doigt pointé. M’enfoncer, souplement, lentement en lui qui respire soudain plus vite. Et capter cet instant où son regard chavire.
J’en trique.
J’ai rabattu contre mon ventre l’inconvenante exhibition de ma verge turgescente en m’en réjouissant et je suis retourné nager, histoire de recouvrer une allure plus décente dans l’eau fraîche. Puis je viens sécher sur ma serviette en lisant. Je crois ne pas avoir compris tout les mots que j’ai lus alors, mes pensées revenant sans cesse vers ce joli corps masculin que je voudrais dévorer sans l’entamer pour pouvoir recommencer sans fin.
En me rhabillant, en sellant ma monture au ventre gonflé, en reprenant pied dans la simple réalité, je me remémore tout cela plus froidement. J’ai la prétention de penser que nous avons là un socle favorable et dynamique pour un sain compagnonnage, un de ces accommodements loin des grands serments solennels mais où chacun épaule sobrement l’autre et le renforce.
Quand Mehdi rentrera … S’il revient, car, après tout, je ne peux être sûr de rien !
A sa prochaine venue, que j’espère donc, je m’efforcerai de lui faire entendre qu’il peut poser son sac, au moins pour s’essayer à faire ensemble un bout de chemin.
Si jamais cela lui convient.
Amical72
* "je me suis pris pour un poète / en écrivant / les mots qui passaient par ma tête / comme le vent ..." Regardez-le, assis, le dos vouté, hirsute, la barbe blanchissante, l'oeil de velours ; de sa voix sourde, écoutez-le chanter son désir, son rêve à de ses pensées. ET SI, par hasard, c'est un homme qui occupe ainsi nos pensées ... Qu'est-ce que ça change ?
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