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9 | Partie remise
Le récit de Julien
- "Et maintenant, habille-toi, je t'emmène découvrir un coin secret du domaine!"
Je disparais à sa vue, juste le temps de garnir un sac à dos de quelques effets auxquels j'ajoute une gourde d'eau fraîche puis je l'embarque dans la vieille guimbarde que n'effraie aucun chemin de terre. Je lui jette des coups d'oeil rapides mais il ne manifeste aucun signe d'appréhension alors que nous filons en cahotant sur ce large chemin forestier qui nous laisse deviner, au travers de maigres troncs de chênes, la prairie que le regain reverdit, à quelques mètres en contre bas. Je lui indique du doigt le rideau d'arbres qui borde la rivière dont nous nous rapprochons.
Véhicule stationné, nous franchissons la clôture et nous traversons la langue de pature jusqu'au cordon de frênes et d'aulnes qui préservent une fraîcheur bienvenue. L'eau est assez basse dans le méandre et je me déshabille rapidement pour y entrer. Je me retourne, Mehdi est resté debout sur la rive, bras croisés à m'observer. Je fronce les sourcils et l'interpelle d'un coup de menton. Il hausse les épaules et, à son tour, se met totalement nu puis se redresse, bras en croix pour une entrée solennelle dans l'eau du Gange.
Mais le contraste de température le surprend et il grimace, se recroqueville. Il s'allonge pourtant courageusement dans le faible courant. Il nage mal, gardant la tête hors de l'eau, nuque cassée, respiration bloquée, avec des mouvements de bras qui se voudraient apparentés au crawl mais évoquent davantage une nage de quadrupède. Ils doivent l'éreinter pour une performance plus que modeste, mais ce n'est pas le sujet.
Il me rejoint et mon aisance de loutre aquatique me permet de l'accompagner au plus près, de l'envelopper, de l'effleurer, de l'attirer à moi. Il n'y a pas assez d'eau pour qu'il s'alarme de mes jeux qui, maintenant qu'il a pris confiance, le font sourire et auxquel il se met à participer.
A la sortie, la température de l'air de cette mi-août nous fait prendre conscience de la morsure de l'eau froide et nous devons nous frictionner vigoureusement avec nos serviettes pour dissiper la tétanisation de nos muscles, réveiller la sensibilité de nos extrémités. De mes grosses mains, je m'empare de ses trapèzes et, au prétexte de les détendre, j'engage un pétrissage en règle qui se mue en rude friction bientôt mutuelle. Je sais que ce n'est qu'une façon bourrue, et donc acceptable, de toucher sa peau dont la douceur m'aimante. Je vois, à son oeil amusé, qu'il n'est pas dupe et, exerçant en retour un juste droit d'indiscrétion, qu'il me rend la pareille avec les indices d'un alanguissement polisson qui me ravit.
Puis nous choisissons une place dégagée et plus ensoleillée pour nous étendre sur nos serviettes. La fraîcheur due à l'eau courante contraste avec la toufeur de l'air sec qui nous parvient par vagues. Allongé sur le dos, un bras sur les yeux pour les protéger des rayons solaires, je goute cette légère brûlure que l'agitation des frondaisons rend intermittente. Après ce bain vivifiant, ce bouchonnage réciproque bienfaisant, je me sens bien, comme un lézard.
A mon côté, Mehdi se tourne, rampe et ondule pour creuser sa place. Je sens la chaleur de sa proximité puis sa main, fraîche, se pose sur mon ventre. Je bloque son poignet, rabat son bras entre nous puis desserre légèrement mon étreinte tandis que je lui explique.
- "Ce n'est ni la saison de la chasse, ni celle des champignons, nous sommes dans un lieu éloigné de tout, une propriété privée dont nous avons soigneusement refermé la barrière. Qu'on nous aperçoive dans notre intégrale nature m'indiffère. Pour autant, je refuse de nous exposer imprudemment car je détesterais nous voir surpris en plein ébats par un croquant de passage et nous voir, confus, nous contraindre nous-mêmes à nous interrompre, nous précipiter pour dissimuler maladroitement nos émois, nous exposer à être, probablement, objets de railleries.
Comprends-moi bien! Ce que je refuse, c'est de soumettre aux règles de la bienséance ou de la bien-pensance ce qui est un des instruments de mon émancipation et de ma liberté et que je ne veux pas avoir à renier. J'aime baiser mais baiser échappe aux règles de la bonne éducation. Baiser, c'est ouvrir à une relation directe à l'autre, l'inviter à envahir ta sphère intime et réciproquement, c'est se dévoiler sans pudeur ... et ce n'est pas un spectacle tout public."
Mes doigts jouent maintenant des arpèges le long de son bras enfoui entre nous.
- "Mais ce n'est que partie remise! Alors profite, Mehdi! Du soleil, de ce calme champêtre, du mouvement des feuilles qui jouent de l'ombre et de la lumière, de cet instant de repos absolu ... Emmagasine, sois patient, et, en attendant le moment, le lieu idoines, emplis-toi de ces douces sensations comme autant de promesses, laisse ton appétit se creuser, montre-toi un peu à moi ...
Tiens, et si tu me disais quelque chose de toi dont je ne sais presque rien ..."
* « Mobilis, in mobile / J'irai de l'avant / Contre le vent » par
Amical72
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