Cyrillo

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Tronche de cake

CHAPITRE I

Fez, Maroc, 19.

- Tu me prends pour une idiote ou quoi ? Ton copain t'a peut-�tre embrass� sur la bouche, apr�s avoir tir� une taf* ?
Pan !
La gifle venait de claquer, me crevant quasiment le tympan gauche, et je restai sourd un long moment, la joue �carlate et l'air b�te qui me caract�risait lorsque j'avais fait une b�tise.
- Si tu ne me dis pas la v�rit� tout de suite, tu seras priv� d'argent de poche pendant un mois !

Encore ? Chaque fois ce chantage � l'argent de poche ! Ces malheureux cinq francs que nous touchions, mon fr�re et moi, en d�but de semaine pour nos menus plaisirs : quelques cornets de gaufres � la r�cr� et un paquet de P 4 (les quatre Parisiennes) qui devaient nous faire la semaine et que nous coupions en trois, ce qui nous faisait six clopinettes chacun. Mais, comme le compte n'y �tait pas, heureusement que nos copains les plus riches, ceux qui avaient les moyens de se payer des paquets entiers de Marquises, de Casa-Sport, de Marlboro ou de Royales-Menthol, nous permettaient, avec condescendance, de terminer leurs m�gots.

- Re-souffle !
Je soufflai timidement, en retenant ma respiration - exercice � combien difficile ! - et elle eut une moue dubitative qui ne m'�chappa point. Heureusement, ce jour-l� j'avais fum� le matin, en partant au lyc�e et non pas au retour, et avais suc� ensuite force cachous pour ne pas trop sentir de la bouche.
- Je te jure, maman, que c'est Yves qui a fum� � c�t� de moi, et qui m'a impr�gn� le pull avec sa clope. C'est comme quand tu fais la cuisine � l'huile d'olive. Au lyc�e, les copains s'en aper�oivent toujours et me charrient avec �a : - Alors ? Ta mama t'a encore fait frire, Tronche de cake ?
Tout �a parce que l'odeur s'impr�gne dans mes v�tements et y reste tr�s longtemps.

Mais elle n'avait pas l'habitude de capituler.
Re-pan !
Cette fois-ci, c'�tait le martinet - ustensile qui ne la quittait gu�re - qui s'�tait abattu sur mes cuisses d�nud�es par le short. Et, comme m� par une esp�ce de r�flexe de Pavlov, je me tournai et baissai short et slip en m�me temps.

Les coups plurent, une dizaine en tout - elle n'allait pas jusqu'� douze, car se fatiguait vite - et qui me laiss�rent l'arri�re-train z�br� de rouge. Presque aussi rouge que mon visage lorsqu'elle avait �voqu� le possible baiser d'un copain sur la bouche. Bon Dieu ! Si �a avait pu �tre vrai ? Je crois bien que je me serais arr�t� de fumer tout de suite, et ne me serais intoxiqu� que d'�tre embrass� par Marc.

Ah, Marc ! Grand, brun, aux yeux noirs, de deux ans plus vieux que moi, et qui me faisait chavirer le cour chaque fois que je le voyais.

- Tu veux ma photo, Tronche de cake ? m'avait-il demand�, la premi�re fois qu'il avait crois� mon regard, probablement �namour� et un peu idiot. C'�tait lui qui m'avait donn� ce surnom, que je ch�rissais puisqu'il me venait de lui, m�me s'il n'�tait pas tr�s gentil, ni affectueux.
- Oh, oui ! Bien volontiers ! pensai-je secr�tement sur le moment. Je l'aurais mise au-dessus de mon lit et l'aurais contempl�e en me frottant, � plat ventre, sur les draps, comme je le faisais presque toutes les nuits depuis quelque temps.

J'avais beau tenter, le matin au r�veil, de faire dispara�tre les traces de cr�me jaun�tre qui souillaient mes draps, � l'aide d'un gant de toilette mouill�, il restait souvent des aur�oles suspectes qui faisaient dire � maman :
- Tu as encore fait pipi au lit, cette nuit, Thibaud ? Il serait grand temps que tu t'arr�tes, � ton �ge !

Aussi, pris-je l'habitude de m'�pancher dans la salle de bain, en me contemplant dans la glace, essayant de substituer, par la pens�e, le visage de Marc au mien. Mais cette r�alit� que je voyais me faisait jouir beaucoup moins bien que mes fantasmes de lui dans mon lit.

- Va-t-en ! Tu n'iras pas au cin�ma dimanche !
Ouf ! J'avais eu chaud. Elle m'avait cru � moiti� et je garderais mes pr�cieux cinq francs. Je me re-shortai et regagnai ma chambre, les fesses endolories mais la t�te pleine d'images de Marc...

- Alors, t'as pris ta racl�e ?
Pascal me contemplait, l'air rigolard, allong� sur son lit. Je me jetai sur lui et nous nous batt�mes comme deux fr�res qui s'adorent. Nous partagions la m�me chambre avec Calou, (c'est ainsi que j'avais surnomm� mon frangin) et bien qu'il e�t un an de moins que moi, c'�tait lui l'inventeur de nos b�tises de garnements. Moi, un peu faible de caract�re, je suivais toujours et �tais souvent le seul puni car je ne savais pas ou mal mentir. Lui, par contre, passait presque toujours � c�t� du martinet en mentant effront�ment et avec un aplomb qui me laissait sans voix. Ainsi, lorsqu'il eut attrap� une heure de colle, il affirma p�remptoirement qu'il avait �t� puni pour n'avoir pas d�nonc� un camarade qui avait copi� sur lui. (Quand je savais pertinemment, puisque nous �tions dans la m�me classe - j'avais redoubl� le CM2 - que c'�tait lui le copain copieur !) J'en restai m�dus�. La m�re le crut, tant elle �tait attach�e � l'honneur et � la droiture.
- On ne d�nonce pas quelqu'un d'autre pour se prot�ger ! nous serinait-elle. Et il en profitait, le salaud ! Moi, je n'aurais jamais os�, de peur qu'elle n'apprenne la v�rit� en se renseignant aupr�s du prof.

- Je suis priv� de cinoche dimanche, dis-je, en me massant les fesses.
- Bof ! c'est pas grave, t'auras qu'� dire que tu vas faire tes devoirs chez Bab, et tu nous rejoins au Rex !

C'�tait une bonne id�e. Maman aimait beaucoup Babeth, car, se rendant peut-�tre compte de quelque chose � mon endroit, elle appr�ciait qu'une fille me tourne autour. Peut-�tre se figurait-elle que ma " maladie " s'�vanouirait quand j'aurais eu mes premiers rapports avec une fille ? M�me si elle �tait moche et grosse et ne faisait pas le poids - si j'ose dire - � c�t� de Marc, grand, mince et beau � mes yeux.

En fin de compte, nous �tions un peu semblables Babeth et moi. Nous �tions tous deux amoureux de quelqu'un qui ne nous remarquait m�me pas. Elle, �tait folle de moi, et passait des apr�s-midi enti�res assise sur le lit de Calou, esp�rant que je m'occupe d'elle, pendant que je d�vorais des bouquins allong� sur le mien ; quant � moi, je m'�vertuais, chaque jour, � essayer d'entre apercevoir Marc au lyc�e. Je m'�tais m�me procur�, par ruse, son emploi du temps et lorsqu'il sortait une heure apr�s moi, je m'astreignais � passer cette heure d�licieuse en �tude, dans l'attente de le voir � la sortie. Mais il ne faisait pas plus attention � moi que je ne m'int�ressais � Bab.

La vie �tait mal faite. Il ne savait pas ce qu'il perdait. Pour une caresse de lui, j'aurais pu faire les pires conneries et n'aurais pas senti les coups de martinet qui s'en seraient immanquablement suivis, tant j'aurais �t� p�n�tr� de bonheur. J'enviais les gars de sa classe qui lui serraient la main tous les jours. Cette main aux doigts longs et fins dont je r�vais qu'elle me caressait, la nuit...

Bref, j'�tais fou de lui et de tout ce qui l'entourait. J'en �tais m�me arriv� � vouloir me transformer en sa selle de Puch - ce v�lomoteur que tous lui enviaient - pour le sentir � califourchon sur moi. Et je fantasmais dur.

A quatorze ans, je ne savais pas encore que j'�tais p�d�. Je sentais bien, pourtant, que j'�tais diff�rent des autres gar�ons du bahut et pensais m�me �tre le seul au monde de mon esp�ce mais, pour moi, les tapettes c'�tait autre chose. C'�tait des hommes qui faisaient des mani�res et s'habillaient en femme ; et, bien que n'ayant pas envie de me transformer en femme, je jalousais pourtant les filles qui sortaient avec Marc, tout en me sentant parfaitement gar�on. De dr�les de sentiments se bousculaient dans ma t�te et je ne savais plus tr�s bien o� j'en �tais.

CHAPITRE II

La boum 1 ou " La sur-pat' "

Le dimanche arriva tr�s vite. La ruse de Calou fonctionna � merveille car je commen�ais � savoir mentir un peu, moi aussi, sans rougir. Je rejoignis la bande au Rex. Par un heureux hasard, Bab �tait l� avec Edwige, la copine de mon fr�re. Je pus donc l'informer du complot, afin qu'elle ne fasse pas la gaffe de r�v�ler � maman, sans le faire expr�s, que je ne faisais pas mes devoirs chez elle. Elle m'�tait si d�vou�e d'amour qu'elle se serait accus�e de meurtre pour me prot�ger et accepta donc tout de suite de me rendre ce petit service. Je me sentis bien un peu d�gueulasse de me servir d'elle ainsi, mais la libert� n'avait pas de prix et, de toutes les fa�ons, elle en �tait r�compens�e de m'avoir � c�t� d'elle au cin�ma.

A l'entracte, Edwige nous apprit qu'elle �tait invit�e, le dimanche suivant, � une sur-pat' (une surprise-partie, mais �a faisait plus am�ricain de dire sur-pat' !) chez Marc. Il voulait la soulever � Calou, pour sortir avec elle. Mon sang ne fit qu'un tour et je rougis violemment, mais personne ne s'en aper�ut. Calou protesta que, si elle y allait sans nous, il allait casser. Elle promit alors d'essayer de nous faire inviter. Pendant le deuxi�me film - dont j'aurais �t� bien incapable de dire si c'�tait un western ou un policier - je me voyais d�j� au dimanche prochain. J'aurais toute l'apr�s-midi pour le voir de pr�s et m'en r�galais d'avance le cour.

Ce n'est qu'en sentant la main de Bab me secouer le bras que je r�alisai que le film �tait fini.
- Ben, Thibaud, � quoi tu penses ?
- A rien ! r�pondis-je.

Je n'allais pas lui dire que je r�vais de danser un slow avec Marc, elle en aurait peut-�tre �t� choqu�e car, amoureuse de moi comme elle l'�tait, elle ne se doutait de rien. Il n'y avait que Calou � �tre dans le secret. Je lui disais tout. Il ne me consid�rait pas, lui non plus, comme une tapette et m'acceptait tel que j'�tais, m�me si nous n'arrivions pas � d�finir exactement ce que j'�tais. En fait, j'�tais surtout son grand fr�re qu'il admirait un peu parce que j'�tais bon en fran�ais et �crivais des po�mes d'amour qu'il faisait passer pour les siens aupr�s des filles.

C'�tait un dragueur de premi�re. Il avait un succ�s fou avec elles et j'aurais bien voulu qu'il m'apprenne sa technique pour pouvoir, � mon tour, faire tourner la t�te � Marc. Mais je ne savais pas encore qu'il n'y a pas de techniques ou de secrets en la mati�re, et que l'attirance entre deux �tres n'ob�it � aucune loi math�matique. Sinon, j'aurais fait de gros efforts en math, mati�re o� j'�tais quasi nul.

Calou, lui aussi, me disait tout. Ainsi m'avait-il racont� la premi�re fois qu'il avait embrass� une fille sur la bouche, � onze ans. Pendant le baiser - o� il ne mettait pas encore la langue - elle lui avait pass� son chewing-gum. De surprise, il l'avait aval� d'un coup, sans le vouloir, et m'avait ensuite demand�, avec angoisse, s'il ne risquait pas de le garder coll� dans son ventre toute la vie. Nous nous pr�cipit�mes sur le dictionnaire mais ne trouv�mes rien sur l'avalement de chewing-gum et ses cons�quences. Je le consolai tout de m�me en lui disant que, comme il �tait mouill�, il ne devait pas coller beaucoup, et j'ajoutai qu'il fallait qu'il surveille bien la sortie tous les jours pour �tre tout � fait rassur� de son expulsion. Ce qu'il f�t tr�s consciencieusement. Les premiers temps, il passait une heure enferm� dans les chiottes, alors qu'auparavant il aurait pondu sa crotte en cinq minutes. Cela ne manqua pas d'inqui�ter maman qui le crut constip� et le gratifia de grandes cuiller�es d'huile de ricin. D�go�t� par le rem�de, et point trop g�n�, finalement, � l'int�rieur, par son chewing-gum - qu'il ne v�t pas passer en m�me temps que le reste - il �courta ses passages aux cabinets et n'y pensa bient�t plus.

Le jeudi suivant, Edwige nous annon�a que nous �tions aussi invit�s chez Marc. Elle n'avoua point � Calou qu'elle avait fait du chantage en disant � Marc que, s'il voulait qu'elle vienne, il fallait accepter le paquet complet - c'est � dire nous - et qu'il avait c�d�, car elle lui plaisait beaucoup. Si Calou l'avait su, il est bien probable qu'il aurait annul� le contrat imm�diatement et cass� avec Edwige. Mais il ne le sut que trop tard.

Je passai la fin de semaine dans les affres de l'amour. Je n'en dormis quasiment plus - ou me l'imaginai - tant j'�tais impatient d'en �tre au dimanche.

Il arriva enfin, ce fameux dimanche, dont je me souviendrai toute ma vie. Je m'�tais lev� � l'aube et avais pris une douche interminable, me lavant compl�tement, des pieds � la t�te, plusieurs fois de suite pour �tre super-propre, au cas o� ! (Je me mettais le doigt dans l'oil jusqu'au coude, mais ne m'en doutais pas encore) Je me sapai avec ce que je consid�rais de plus chic et me parfumai l�g�rement derri�re les oreilles, comme m'avait appris � le faire ma grand-m�re ch�rie, la brave femme, qui ne se doutait de rien. J'esp�rais faire craquer Marc par le nez, � d�faut de le faire craquer par le regard.

Calou s'amusa fort de mes pr�paratifs. Il se moqua un peu de moi, amicalement, en me disant que je paraissais une fille se pr�parant pour son premier bal. Et j'avoue que je me sentais bien un peu dans l'�tat d'esprit de Cendrillon allant r�cup�rer sa charentaise de vair dans les mains du prince charmant.

La sur-pat' battait son plein lorsque nous arriv�mes chez Marc, � trois heures de l'apr�s-midi. Dans la superbe villa de ses parents, sur les hauteurs de Fez, tout le monde �tait l�, au bord de la piscine. La vedette du jour �tait Juan-Luis, le fils du consul d'Espagne qui �tait dans la classe de Marc. Un gar�on sympa, pas b�gueule pour un sou et qui ne se prenait pas pour le nombril du monde. J'avais sympathis� avec lui, au lyc�e, car j'aimais beaucoup parler l'espagnol - mati�re o� je ne me d�brouillais pas trop mal - et il en �tait un peu flatt�. Bab et Edwige nous attendaient impatiemment. Elles se pr�cipit�rent sur nous et nous entra�n�rent vers le buffet. Nous nous serv�mes de grands verres de Coca et trinqu�mes � la sant� de Marc. Je le cherchai du regard et le vis, une fille � chaque bras, riant � gorge d�ploy�e. Je me demandai, dans l'instant, laquelle des deux je tuerais la premi�re, lorsqu'il nous aper�ut et vint vers nous, d�laissant ses admiratrices. Edwige fit semblant de ne pas le voir arriver.

- Salut, comment allez-vous ? Je suis heureux de vous accueillir ! dit-il, en nous serrant la main � tous. Lorsqu'il prit la mienne, j'eus l'impression de saisir un fer rougi au feu. Et ce feu se transmit � tout mon �tre. Je devais probablement �tre cramoisi et ne quittai point cette main, la secouant nerveusement pour retarder le plus possible le moment o� elle me l�cherait. Je d�cidai instantan�ment de ne plus me laver la main droite pour ne pas effacer le souvenir de ce contact. Il eut un regard surpris et amus�, de ce que je devais lui para�tre un peu plouc, mais se d�tourna bien vite de moi pour entra�ner Edwige.

Calou, qui commen�ait � avoir des soup�ons � l'endroit de la fid�lit� de sa fianc�e, se mit � faire la gueule. Pour le consoler, et me remettre un peu de l'�motion de mon premier serrage de main avec Marc, je l'entra�nai vers le buffet et nous servis un autre verre de Coca. Bab nous suivait comme un petit chien fid�le, sans faire de bruit.

Lorsque le premier slow retentit, sur le Teppaz* flambant neuf, je crus d�faillir. Je me rem�morai la s�ance de cin�ma o� je m'�tais r�v� dansant avec Marc. " Only you " chantaient les Platters. Je connaissais les paroles de cette chanson sur le bout des doigts, m�me si j'�tais bien incapable d'en traduire le moindre mot. Le titre, � lui seul, me transper�ait le cour en ce moment : Seulement toi ! (ou Toi seul ? Mais Seulement toi ! collait mieux avec la musique) C'�tait tout ce que je savais traduire, mais c'�tait d�j� beaucoup. Je chantonnais int�rieurement : Seulement toi ! en regardant fixement Marc dansant avec Edwige, comme pour l'hypnotiser ou l'ensorceler. Mais mes impr�cations sataniques internes n'avaient pas l'air d'avoir beaucoup d'effets sur lui. Au contraire, il se serra d'avantage contre Edwige, au grand dam de Calou qui se voyait cocu devant tout le monde. Je me dis qu'il faudrait que je prenne des cours d'envo�tement avec un marabout professionnel, car ma m�thode de sorcellerie ne paraissait pas tr�s efficace. Pour se venger, Calou chercha quelqu'un d'autre � se mettre sous la dent. Il trouva tr�s vite une petite blonde de quatorze ans qui faisait tapisserie. Elle �tait mignonne et semblait timide. Lorsqu'il l'invita � danser, elle rougit et fit mine de refuser. Mais il avait tellement de tchatche qu'il la convainqu�t rapidement en la faisant rire.

C'�tait son point fort, �a ! Il faisait le clown comme pas un, et les filles ne pouvaient pas lui r�sister. Quant � moi, j'attendis que le slow f�t termin� pour inviter Bab � danser. Je ne voulais pas brouiller les images que j'avais dans la t�te, en sentant son corps contre le mien. Je profitai d'un jerk, qui permettait une certaine distance entre nous, pour faire preuve de politesse � son �gard. Mais c'�tait le maximum de ce que je pouvais faire pour elle. Elle eut quand m�me l'air de m'en �tre reconnaissante, la pauvre.

Sur le coup des six heures du soir, la nuit commen�ant � tomber, Marc fit allumer des torches par le chaouch*. Ces lueurs donn�rent � la f�te un air de sabbat, dans mon esprit, et, lorsque quelqu'un annon�a la danse du tapis, je me dis que, peut-�tre, mon heure �tait venue. Je me pr�cipitai pour faire partie de la ronde, Babeth � ma gauche, une autre fille, aussi moche, � ma droite, et " Marc " en face de moi. Nous tournions inlassablement, nous tenant par la main, sur un pot-pourri de danses espagnoles, en hommage � Juan-Luis. Ce fut d'ailleurs lui qui ouvrit le bal des vampires et il choisit une petite brune tr�s jolie qui devait lui rappeler les filles de son pays. Mais, retenu par son �ducation d'hidalgo et sa position de fils de consul, il ne l'embrassa que sur les joues. Ce qui plut quand m�me � la fille, qui rosit. Se relevant de dessus la serpilli�re qui tenait lieu de tapis - Marc ne tenant point � souiller les coussins de sa m�re - elle s'avan�a devant le ma�tre de maison, comme si elle voulait respecter le protocole.
Mais on sentait bien qu'elle n'en avait rien � foutre du protocole et que seul Marc l'int�ressait. Il se plia de bonne gr�ce � la c�r�monie et, se saisissant de la serpilli�re qu'elle avait jet�e � ses pieds, il l'�tala pr�cautionneusement par terre et s'agenouilla dessus. Elle l'imita aussit�t, semblant d�faillir. Il la retint par les �paules et lui roula un patin de premi�re. Je ne pus savoir s'il y mettait la langue, mais je d�cidai in petto qu'elle serait la troisi�me victime de la s�rie d'assassinats que je comptais commettre aujourd'hui. Lorsqu'elle se fut relev�e, p�niblement, les jambes flageolantes, et eut quitt� le cercle des danseurs, certainement ivre du baiser qu'elle venait de recevoir, (� mon avis, elle allait en avoir au moins pour la semaine � s'en remettre !) Marc, par esprit chevaleresque sans doute, jeta la serpilli�re devant les pieds de Bab. Incr�dule, celle-ci bredouilla :
- C'est... pour moi ?
- Ben oui, pourquoi pas ? r�pondit-il, l'oil amus�.

Je sentis la main de Bab se crisper dans la mienne et me dis que, d�cid�ment, il faisait de l'effet � tout le monde. Leur baiser dura beaucoup moins longtemps que le pr�c�dent et je fus bien certain qu'il n'y mettait pas la langue, sinon Bab en serait morte sur le coup. Mais elle avait quand m�me le regard trouble en se relevant et fit semblant d'h�siter entre plusieurs gar�ons avant de me choisir, bien �videmment. Je lui en fus reconnaissant, car elle me donnait l'occasion de r�aliser le plan que j'avais con�u dans ma t�te. Aussi, pour la remercier de son choix, et �garer les soup�ons de ce qui allait suivre, je l'embrassai � pleine bouche, en y mettant la langue pour la premi�re et derni�re fois de sa vie.

Elle poussa un tel soupir, lorsque nous nous s�par�mes, qu'il y e�t des applaudissements dans la foule. M'�tant remis prestement debout, la serpilli�re � la main, je la secouai devant chacun, � tour de r�le, comme un tor�ador avec la muleta devant le taureau, en esquissant des pas de paso-doble. Puis soudain, prenant mon courage � quatre mains - car je n'en avais pas assez de deux pour faire ce que j'avais pr�vu - je m'arr�tai devant Marc et criant " Ol� ! " je jetai la serpilli�re devant lui, en faisant semblant d'�clater de rire. Mais � la v�rit�, je riais un peu jaune � l'int�rieur. Interloqu�, il me regarda sans comprendre, puis, saisi brusquement d'un doute, me dit :
- H� ! Tronche de cake, j'suis pas une tapette !
- Oh, si on peut plus rigoler, maintenant ! r�pondis-je, en faisant un effort surhumain pour rire.

Il rit � son tour, franchement, croyant que c'�tait un gag de ma part et, me saisissant par les �paules, m'entra�na jusqu'� la piscine, o� il tenta de me jeter. Mais comme, par r�flexe, je m'�tais accroch� � ses hanches, nous tomb�mes ensemble dans l'eau, tout habill�s. Des hourras et des applaudissements fus�rent au bord du bassin, et plusieurs gar�ons, qui avaient pr�vu de se baigner et avaient mis un maillot de bain en guise de slip, se d�shabill�rent promptement et saut�rent joyeusement dans l'eau pour nous rejoindre. Je toussais et crachais passablement car Marc m'avait fait couler en m'appuyant sur la t�te, mais j'�tais le plus heureux des hommes. Je n'avais heureusement pas de montre � mon poignet, qui e�t certainement rendu l'�me dans ce bain, mais j'en �tais presque frustr� car je l'aurais gard�e comme une relique. Lorsque nous e�mes batifol� un grand moment dans l'eau, il m'aida � remonter sur le bord et, soudain, pour faire rire la galerie, me prit le visage � deux mains et m'embrassa claironnement* sur les deux joues et le front. Des quolibets fus�rent, mais pas m�chants, et tout le monde applaudit � la sc�ne. Je d�cidai aussit�t de ne plus me laver ni les joues, ni le front, jusqu'� nouvel ordre, en plus de la main droite. D�tendu et de bonne humeur d'avoir eu son effet, il me saisit amicalement par le bras en annon�ant � la cantonade qu'il nous fallait nous changer si nous ne voulions pas attraper la cr�ve de rester mouill�s. Puis il m'entra�na dans sa chambre...

Mon cour battait � deux cents � l'heure, ma vue se brouillait et des frissons me prirent, mais qui n'�taient pas de froid. Lorsqu'il commen�a � se d�shabiller, je ne pus l'imiter, tant j'�tais paralys� de d�sir. Et lorsqu'il fut tout � fait nu devant moi, aucunement g�n� puisque nous �tions entre gar�ons, je pus � loisir contempler son anatomie et en impr�gner mon cerveau d'une fa�on quasi photographique.
Etonn� de ne pas me voir bouger, il se tourna vers moi. Voyant que j'�tais cramoisi :
- Tu tiens � attraper la cr�ve, de rester comme �a ? me dit-il.

Il s'approcha alors et entreprit de me d�shabiller. Lorsqu'il en fut � mon pantalon, une brusque chaleur irradia mon bas-ventre et je ne pus m'emp�cher de bander. L'�cartant d'un geste, je mis une main devant ma braguette puis, faisant semblant de danser d'un pied sur l'autre, lui demandai o� �taient les toilettes car j'avais une terrible envie de faire pipi. En rigolant, il ouvrit une porte qui donnait directement sur sa salle de bain personnelle (Quel luxe !) Je m'y engouffrai, baissai mon pantalon et mon slip � toute vitesse, et me masturbai f�brilement. La jouissance vint tr�s vite des images que j'avais grav�es dans mon cerveau et mon jet de sperme, qui n'avait jamais �t� aussi abondant, alla frapper l'abattant des w.-c. Lorsque je fus remis de mon �motion, je nettoyai les d�g�ts avec du papier-cul et r�int�grai la chambre, compl�tement nu moi aussi. Il m'attendait, une serviette � la main, et me frictionna le dos et le torse �nergiquement pour me r�chauffer. Si je n'avais pas joui quelques instants plus t�t, je me serais certainement remis � bander, mais je pus me contenir et lui prendre la serviette des mains pour finir de me s�cher moi-m�me, l� o� je r�vais la nuit que sa main me caressait...

Tout � coup, il �clata de rire.
- Tu sais que tu m'as bien eu, tout � l'heure, � la danse du tapis ? J'ai vraiment cru, au d�but, que tu voulais me rouler un patin !
- Et si c'�tait pour de vrai, qu'est-ce que t'aurais fait ? r�torquai-je sans r�fl�chir.
- T'es fou ? pas devant les filles !

Je restai coi, la bouche ouverte, avalant p�niblement ma salive et me lan�ai courageusement.
- Ben... c'�tait pas pour de rire, y'a tr�s longtemps que j'ai envie de t'embrasser !
- Il y a longtemps, aussi, que je m'en suis aper�u, figure-toi ! dit-il en riant. Si tu voyais tes yeux de merlan frit quand tu me regardes, �a te ferait vachement rigoler. Heureusement, personne d'autre que moi ne s'en est rendu compte, sinon ma r�putation de dragueur serait foutue !

Il dit cela tout en avan�ant vers moi et lorsqu'il fut tout pr�t, redevenu brusquement s�rieux, il saisit mon visage � deux mains et posa ses l�vres sur les miennes. Je d�faillis et il dut me soutenir pour ne pas que je m'�croule sur le tapis. Je me collai contre lui, les bras autour de sa taille, me soudant � lui passionn�ment. Lorsque je sentis sa langue sur mes l�vres, la t�te me tourna de nouveau et j'ouvris tout grand la bouche pour l'y laisser p�n�trer. Nos langues se caress�rent et j'avalai sa salive avec volupt�. Je d�cidai, pour la troisi�me fois de la journ�e, de ne plus me laver les l�vres, les dents, ni la langue - quoique je ne me la lavais pas beaucoup auparavant - en plus des joues, du front et de la main droite. Tel que c'�tait parti, je n'aurais plus grand chose � laver, � l'avenir, � part peut-�tre mes doigts de pieds. Je bandais � nouveau et il dut certainement le sentir contre son ventre, mais continua son baiser, chaud et doux, beaucoup, beaucoup plus doux et chaud que dans mes r�ves. Aussi, au bout d'un moment, je ne pus me contr�ler et j'�jaculai contre lui. Il en eut une sorte de frisson puis, s'�cartant lentement, me dit avec douceur, les yeux rieurs :
- Eh ben ! je ne pensais pas te faire autant d'effet, mon cher Thibaud ! Mais, je ne voudrais pas te donner de faux espoirs, car je pr�f�re les filles, m�me si �a ne me d�range pas d'embrasser un gar�on de temps en temps. Et je dois dire que tu embrasses tr�s bien pour ton �ge. Mais �a n'ira pas plus loin entre nous. J'en suis d�sol� pour toi, mon petit ch�ri, car je t'aime bien !
De tout ce qu'il venait de me dire, je n'avais retenu que : Mon..., Cher..., Thibaud..., - c'�tait la premi�re fois qu'il pronon�ait mon pr�nom officiel - Embrasser un gar�on..., Tu embrasses tr�s bien..., Mon petit ch�ri..., Je t'aime...

Des larmes de bonheur me vinrent aux yeux puis, soudainement, le dernier mot, le mot fatidique, celui qui annulait tous les autres, arriva jusqu'� mon cerveau : - ...bien !

Je t'aime... bien ! Ce n'�tait pas : mal ? c'�tait : bien ! Mais ce BIEN me fit l'effet d'un coup de couteau en plein cour. Au moment o� il avait pos� ses l�vres sur les miennes, j'avais v�cu mon premier bonheur d'amour et cinq minutes plus tard, le BIEN ! le transformait, soudainement, en premier chagrin d'amour.

Mes larmes de bonheur se mu�rent en larmes de tristesse.
Voyant mon d�sarroi, il me prit le menton et, me donnant un rapide baiser sur la bouche, me dit :
- Ne sois pas triste, mon petit Thibaud ! Mignon comme tu es, tu trouveras certainement un autre gar�on � aimer et qui t'aimera. Quant � moi, je resterai ton copain et cette soir�e sera notre secret � tous les deux, je te le promets.

Puis, se saisissant de la serviette qui �tait rest�e � nos pieds, il s'essuya le ventre o� j'avais laiss� les traces de mon premier amour.

(Extraits de "Tronche de cake" � para�tre en mai 2004 aux �ditions B�n�vent, � Nice)

Pat Achon

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