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Chapitre 4 | La règle du jeu
Le récit de Julien
Je poursuis :
- « De même que je prends grand soin des personnes qui m’entourent ... »
- « tu vis seul ? »
Il a tourné la tête vers moi, sans se départir de ce sourire qui n’a pas frémi et est passé du « vous » au « tu ». J’acquiesce d’un simple signe de tête, sans que l’information ne semble le modifier en rien son attitude.
- « et où puis-je me changer ? »
Je le conduis aux vestiaires où je reste, en appui dos à la porte d’entrée, bras croisés. Il aurait pu facilement se décaler pour se soustraire à ma vue mais non, il se change devant moi, le plus naturellement du monde, tombe son jean et apparait, cuisses et jambes solides, son beau cul moulé dans un boxer ajusté gris, enfile sa cotte de travail à double fermeture, ôte son sweet, son tee-shirt remonte en découvrant alors son ombilic très plat couronnant un triangle de poils clairs, remonte les deux glissières et s’assoit. Je découvre qu’il a des pieds immenses. La jambe posée sur son genou, il fait jouer sa cheville à plusieurs reprises.
- « un petit quarante-six. »
Donc, il observe et ne pêche pas par naïveté ! Il poursuit la conversation.
- « Mon diplôme d’ingénieur agricole en poche, j’ai trimé pour financer un voyage en Australie où j’ai un peu bourlingué dans un rêve de Far-West ! Puis je suis rentré et j’ai bossé pour un réseau d’irrigation : prospection de zones de captage et leur protection, amélioration de la desserte et de la qualité des eaux, sensibilisation des cultivateurs aux pollutions diffuses ou ponctuelles ... Pour produire, toujours plus ! Jamais assez …
Alors j’ai décidé de revenir aux fondamentaux du paysan qui produit en respectant les cycles de la nature. »
- « Et l’Australie … tu montes à cheval ? »
- « Eh oui ! Tu vois, plusieurs centres d’intérêt partagés motivent ma présence ici ! »
Et toujours ce sourire lisse et ce regard indéchiffrable. Il m’intrigue ce garçon, et cela m’amuse. Je vais donc continuer à me montrer prévenant, avec des attentions parfois appuyées, des mains qui s’attardent, ne perdant aucune occasion de lui tendre la perche avec des phrases à double sens. Mais rien ne parait pouvoir le troubler, il reste constant dans sa concentration toute professionnelle et ne manifeste absolument aucune réaction ni à mes allusions grivoises, ni à mes frôlements taquins à quoi il pourrait pourtant facilement se soustraire.
Nous avons fait le tour du domaine, envisagé le cheptel, le matériel, les installations et je lui propose de consulter des documents dans le bureau. Je lui donne alors la règle imprescriptible aux Chênaies : « pas de vêtements ni de chaussures de travail dans la grande maison ». Ce faisant, j’ai le sentiment d’être le gardien d’un rituel en ce lieu, par délégation. « Fidèle, fidèle. Je suis resté fidèle, à des choses sans importance pour vous ... *», une charge bien légère qui m’inscrit dans une lignée : j’ai reçu un héritage que je transmets, c’est une identité, la mienne.
Quand nous entrons dans le vestiaire, il arrache une à une ses chaussures puis revient vers moi. Il tire d’un coup sec sur la languette de sa combinaison qui s’ouvre sur son torse athlétique quand il se campe face à moi, pieds écartés et poings sur ses hanches, un brin fanfaron.
- « Je ne voudrais manquer à aucun de mes engagements envers vous, monsieur, et surtout pas les clauses non écrites de la convention. »
Sous le cérémonieux vouvoiement, son air, son sourire ont changés. Son œil vif pétille et, après avoir guetté toute la journée sa réponse ou un signe, j’avoue qu’une seconde m’est nécessaire pour me reprendre. Aucun doute sur la nature de la malice de son regard. Je m’approche et saisis la bande de tissu séparant sa cotte, qui pend jusque devant sa taille.
D’un coup sec, je l’attire à moi et cherche ses lèvres. Il a, à son tour, un instant de retenue, puis il s’abandonne à un baiser de mec, vorace et conquérant, où nos langues se disputent le terrain et nous envahissent tour à tour l’un l’autre. Mes premières interrogations trouvant ici leur réponse, je l’embrasse goulument comme une gratification méritée et il n’est pas en reste, venant me relancer avec entrain quand je fais mine de me retirer de la partie. Mais je veux en avoir le cœur net.
- « ainsi tu serais gay, toi ? »
- « disons que … les « sport co », les études, les voyages m’ont offert l’opportunité de découvrir et d’apprécier certaines choses … Tu sais, aujourd’hui … »
Mais, au même moment, il fait un geste de dénégation en tournant latéralement la tête de gauche à droite. Conscient de l’évidence de cette contradiction, il rit.
- « Non ! Je sais qu’au fond de moi, j’espère retrouver une compagne avec qui fonder une famille … d’ici quelques temps. Mais, sois certain que je sais parfaitement où je suis ! Simplement, aujourd’hui, j’ai envie d’un vrai moment de cul, chaud, sympa, une parenthèse réconfortante et sans lendemain.
La ferme m’a plu, le paysan m’a plu, le mec est … pas mal, il m’a inspiré confiance, et ... »
- « Et ? »
Il rit !
- « Quand tu m’as annoncé que tu voudrais me prendre, disons que ça a juste mouché mon orgueil, celui, trop facilement spontané, du « male blanc dominant ». Puis j’ai réfléchi que ça allait de soi car c’est bien moi qui suis venu te solliciter, que c’est le jeu. Tous les mecs hétéros devraient sans doute se faire mettre au moins une fois, pour comprendre que leur propre désir n’est pas LA clé universelle, qu’il ne leur donne pas tous les droits. »
Waouh ! Ce sourire … ces yeux pétillants … J’ai fermé les miens et nous avons repris le baiser là où nous l’avions arrêté avec un appétit non feint. Sapristi, voilà qu’au milieu de mon désert mélancolique, à l’aube prochaine de mes cinquante ans, la jeunesse joyeuse s’offre à moi, pleine de promesses mais, également, libre et sans attente d’engagement affectif. Un vrai cadeau « tombé du ciel, à travers les nuages*² » !
J’ai tiré sur la languette comme sur une chevillette*3 et, aussitôt, moulé de la main sa bobinette, pour m’assurer qu’elle, elle ne demande bien qu’à jaillir de son étui de coton gris. J’ai dégagé ses épaules, arraché son tee-shirt, caressé légèrement son torse, découvrant son tatouage puis, le laissant se dépêtrer de ses oripeaux, j’ai arraché mes propres frusques avant de l’entrainer précipitamment à ma suite.
*1 Charles Trenet chante « » en 1972 : et retrouvez-le, face à Bernard Pivot, lors de l’émission « Apostrophes » nous en dire le dernier couplet puis, ne pouvant résister .
*2 La surprise du grand Jacques Higelin « »
*3 “Tire la chevillette et la bobinette cherra” extrait du conte de Charles Perrault « » voir : Ecoutons qu’en donnent Sim et Carlos dans Les Grosses Têtes, une version dans laquelle Le Petit Chaperon Rouge n’est pas « une poire » mais bien un sujet agissant !
Amical72
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