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HISTOIRE

TOP AUTEUR 2020 ROMAIN

Le Bâtard rouge

Avertissement : Cette histoire est exclusivement réservée aux amateurs de romans de gare capables de se taper 90 pages d’affilée et aux adeptes du : « Je t’aime moi non plus. ». Bon courage !

Escorté de la frégate l’Impérieuse, l’orgueilleux vaisseau de haut bord, pavillon haut, navigue paisiblement sur la houle molle de la Mer des Caraïbes. Que pourrait craindre Le Foudroyant avec sa triple rangée de canons et son équipage de 647 hommes aguerris ?

Alors qu’un albatros caresse paresseusement l’azur des cieux de ses longues ailes, retentit le traditionnel « voile à bâbord ! ». Comment peut-on imaginer un seul instant une histoire de pirates sans ce cri d’alerte jaillissant de la vigie perchée au sommet du grand mat ?

Perruqué à la mode Louis XV, sanglé dans son rutilant uniforme de Grand Commandant de la Marine Royale, l’ascétique Marquis Jean de La Chevillette ajuste sa longue vue pour scruter l’horizon.

- Il n’y a pas de doute possible, il s’agit de la Bloody Mary, la frégate du Bâtard Rouge. Cela est très fâcheux. Grommelle le commandant de vaisseau en pâlissant sous son hâle boucané.

- Qui est donc ce Batard Rouge dont on me rebat les oreilles depuis des années ? Interroge le beau jeune homme blond qui se tient à ses côtés.

- Le Bâtard rouge est le fils unique du Comte Lantelme de Dutonnerre qui épousa en justes noces l’une de ses esclaves noires qui était d’une grande beauté. En dépit du scandale que cela provoqua jusqu’à la cour de France il fit de son fils son légitime et unique héritier.

- Ce fils est donc un mulâtre pour ne pas dire un marron. Marmonne le fils du gouverneur général des Antilles.

- Cela est vrai mais cet homme, malgré la couleur de sa peau, n’en est pas moins le descendant direct d’une noble et prestigieuse lignée qui remonte à Saint-Louis. Excusez du peu. Il a de plus les manières d’un grand seigneur.

- Vous me semblez avoir de la sympathie pour ce forban, mon cher Marquis.

- Non point, Votre Excellence. Mais il faut admettre qu’à la mort accidentelle de son père, due à une mauvaise chute de cheval, il fut traité de très méchante et indigne manière par nous tous.

- C’est-à-dire ?

- Il fut dépossédé de ses biens, humilié, bafoué et échappa de peu à une mort programmée. Je ne m’étonne donc pas qu’il nous prenne en chasse aujourd’hui.

- Vos propos dépassent l’entendement, commandant ! Expliquez-vous ! Pourquoi ce pirate s’intéresserait-il à nous ? Il doit bien savoir que nous n’avons nul trésor à bord. Que convoite-t-il ?

- Vous, Votre Excellence.

- Moi ?

- Vous êtes le fils du gouverneur général des Antilles et il existe un lourd contentieux entre votre père et le Bâtard Rouge. Je ne puis vous en dire davantage. Répond le commandant de vaisseau en se revissant la longue vue à l’œil.

- Mais enfin La Chevillette, vous ne pouvez pas me laisser ainsi dans l’ignorance. N’oubliez pas que je suis ministre plénipotentiaire des Antilles. Je dois-être informé de tout évènement ! Qu’a donc fait mon père à ce personnage pour mériter sa haine ? Insiste le jeune homme.

Le vieil officier pousse un long soupir. Il a presque pitié de la naïveté du garçon qui piaffe dans son bel habit d’ambassadeur. Quant à lui, n’est-ce pas là l’occasion de libérer un peu sa conscience ?

Le Grand Commandant Jean de La Chevillette est un homme rude mais juste et il est très mal à l’aise quand il se souvient du jeune Comte Odon de Dutonnerre alias Le Bâtard Rouge. Il parle donc :

- Le gouverneur et ses comparses ont fait subir bien des misères à ce garçon avant de le marquer au fer rouge comme un vulgaire esclave. Pour parachever l’humiliation ils l’ont marqué à la fesse droite comme on le ferait pour du bétail. Je le sais puisque j’étais présent !

- Quoi ? Que me dites-vous là ?

François de la Chambraère est comme pétrifié en entendant ces paroles car un souvenir fulgurant s’impose soudainement à son esprit. Il se revoit étendu sur une rabane. Il se revoit, comblé et heureux comme il ne le fut jamais. Nu dans les bras d’un homme au corps magnifique.

Il y a quelques mois de cela, lors d’une promenade à cheval il découvre une plage ourlée de vagues indolentes. La chaleur étouffante et l’eau si transparente lui donnent envie de se baigner. Après avoir attaché sa monture à l’ombre d’un arbre, il se déshabille promptement et s’avance vers l’Océan bien qu’il soit des plus inconvenants qu’un homme de sa condition fasse trempette comme le ferait un vulgaire boucanier.

Goûtant un moment la caresse délicieuse de l’écume sur ses pieds, François contemple le disque solaire qui descend sur l’horizon, quand, surgissant des flots, se découpe une silhouette athlétique. Aussi beau qu’une divinité marine, le nageur nu s’avance vers lui.

Bien que charmé sinon troublé par cette superbe apparition, le fils du gouverneur est très embarrassé par sa propre nudité. Mais déjà l’homme est face à lui et lui décoche un sourire merveilleux. Sa peau est couleur de tabac blond et sa chevelure aux boucles serrées est noire comme les ténèbres.

Un sang-mêlé, pense François en ne pouvant s’empêcher d’admirer le visage du triton éclairé par de grands yeux vert turquoise. Sans un mot, les bras ballants, les deux hommes se regardent.

- Je me prénomme Odon, et toi comment t’appelles-tu ? Dit l’homme scintillant de gouttes d’eau.

La voix est grave, bien timbrée. C’est la voix d’un homme apparemment cultivé et sûr de lui. Son port de tête indique clairement qu’il ne fait pas partie de la classe des serviteurs. Il porte un anneau d’or au lobe de son oreille gauche.

- Je m’appelle François. Répond le jeune homme blond en portant son regard sur le grand sexe dressé du jeune nageur.

François veut croire que le bruissement qui emplit ses oreilles n’est que le ramage des cocotiers que font osciller les doux Alizés. Mais il n’en est rien. Ce sont ses oreilles qui bourdonnent. Il se sait fasciné comme le rat par le cobra et quand l’homme pose les lèvres sur sa gorge, il tressaille mais ne proteste pas. Son sexe, à présent aussi gros et dur qu’un manche de pioche, le lancine presque douloureusement.

Il ne résiste pas quand l’homme de couleur l’entraîne dans les langueurs océanes. Il ne résiste pas davantage quand une bouche prend la sienne pour lui accorder un baiser fantastique alors que de grandes mains enveloppent son visage.

Un désir brûlant, sauvage, parcourt ses veines. Il dévore la poitrine et les épaules musculeuses de la divinité marine qui gronde doucement. Sous ses lèvres une peau soyeuse frissonne, salée et odorante. François est très robuste mais que peut-il faire face à ce demi-dieu ?

- Je te veux. Murmure une mâle voix enchanteresse.

- Alors prends-moi. S’entend-t-il répondre dans un souffle.

Etreint par des bras de bronze d’une force prodigieuse, il pousse un cri rauque quand un énorme rostre éperonne ses plus secrètes profondeurs. La douleur s’estompe cependant rapidement, faisant place à un plaisir qui le contraint de s’abandonner tout entier.

Ce n’est qu’après un siècle de pénétrations aussi profondes que voluptueuses que survient l’orgasme le plus anéantissant qu’il pouvait imaginer. Quand il s’éveille de son rêve, il est couché sur une natte qui l’isole du sable et l’homme magique est étendu près de lui.

- Tu es une excellente affaire mon cher François. Veux-tu prendre ta revanche ? Glousse l’amant diabolique en lui offrant un sourire aux dents parfaites.

- Ouais, je veux me venger de l’impitoyable plaisir que tu m’as infligé. Donne-moi ton cul, si tu n’as pas peur de te faire défoncer !

- Le voici et sois sans pitié avec lui ! Rétorque Odon en se mettant à plat ventre d’un souple coup de reins.

Dans le creux d’une petite fesse musclée apparaît alors la marque infamante d’une fleur de lys. C’est une marque faite au fer rouge habituellement infligée sur l’épaule des esclaves.

- Qui t’a fait cela ? Serais-tu un esclave en fuite ? S’indigne François de La Chambraère.

- Détrompe-toi, je ne suis pas un esclave et ceux qui m’ont marqué ainsi vont le payer très cher. Répond Odon avec un ricanement amer.

- Explique-moi !

- Tu es bien trop curieux, mon petit François. Je t’accorde le droit de me baiser mais je ne répondrai pas à d’autres questions. Déclare le métis d’un ton aimable mais ferme.

Dans un geste irréfléchi autant que spontané, le jeune homme blond se penche pour poser un baiser sur la fleur de lys. Le corps sculptural frémi sous le baiser miséricordieux.

- Il me semble que j’aurais pu aimer un homme comme toi en d’autres temps. Dit alors Odon d’une voix étrangement rauque.

- Dommage, parce que moi, je crois bien que je t’aime déjà. Rétorque François en mordillant gentiment la nuque qui s’infléchie lascivement.

- Peut-être as-tu tort de m’aimer trop vite. Maintenant prends moi à ton tour et donnons-nous du plaisir. Répond le sang-mêlé en creusant les lombes.

La passion déferle de nouveau lorsque François écartèle sans merci la rosette de son bel amant inconnu. Sous son ventre et sa poitrine le grand dos de l’homme est une houle de muscles qui l’emporte vers un maelstrom de volupté. Qu’a-t-il murmuré dans oreille ciselée du male superbe qui se donnait à lui ?

Il ne s’en souvient pas.

Il se souvient seulement s’être endormi, épuisé d’amour, dans de grands bras protecteurs. À son réveil, il était seul mais à côté de lui, sur la natte, Odon avait posé une fleur de frangipanier. Fleur maintenant desséchée qu’il porte dorénavant sur lui comme un talisman nostalgique.

Sur un simple geste impérieux du Marquis de La Chevillette les officiers aboient leurs ordres aux quartiers-maîtres qui se mettent à gueuler à leur tour sur les matelots. C’est le branle-bas de combat. On ouvre les sabords pour faire jaillir les gueules des canons. Tout ce vacarme guerrier fait surgir promptement François de La Chambraère de sa rêverie.

Après avoir reniflé un bon coup le parfum d’Arabie dissimulé dans le pommeau d’argent de sa canne d’acajou et réajusté la dentelle de ses manches, l’officier commandant reprend son récit :

- Je disais donc que j’étais présent quand les sbires du gouverneur ont torturé et violé Odon, le fils du défunt Comte de Dutonnerre.

- Dieu !!! S’exclame François en s’appuyant au bastingage.

Il comprend maintenant que le beau nageur avec lequel il a si passionnément fait l’amour sur une plage n’était autre que le Bâtard Rouge en personne. Terrible révélation !

Assailli par une profusion de sentiments violents, confus et contradictoires, le jeune homme plisse les yeux pour mieux observer l’approche rapide de la Bloody Mary. La grande frégate à coque rouge manœuvre pour remonter au vent. Son immense voilure gonflée par l’Alizé semble être un nuage survolant l’Océan.

- Aucun doute, c’est le Bâtard Rouge qui est à la barre. Nul autre que ce forban ne tire des bords avec autant d’élégance. C’est du grand art ! S’enthousiasme le Marquis cramponné à sa lorgnette.

- Il me semble bien plus rapide que nous. Constate François.

- C’est exact. La Bloody Mary est un navire parfaitement profilé et sa voilure agrandie lui permet d’atteindre des vitesses de croisière remarquable. Mais que vois-je à présent !? Tonitrue le Marquis.

- Que voyez-vous, La Chevillette ? Questionne le fils du gouverneur.

- En plus du drapeau noir, il a hissé un étendard frappé à vos armes. Étendard identique à celui qui flotte actuellement au-dessus du Foudroyant pour signaler que vous êtes à bord.

- Qu’est-ce que cela veut dire ?

- À mon avis le message est sans ambiguïté, Votre Excellence. Cela signifie que ce coquin de Bâtard Rouge s’adresse à vous en tout particulier.

- Cela veut dire aussi qu’il veut me capturer comme vous le disiez tout à l’heure ?

- J’ai bien peur que oui, Votre Excellence. Pour moi il est clair que ce pirate a de noirs desseins et qu’il veut s’emparer de votre personne. Annonce le commandant officier, peu rassurant.

- Ce que vous me dites me fait bien rire, Marquis. Ce Bâtard Rouge est un fou ! Comment peut-il imaginer un seul instant m’atteindre sur votre vaisseau. Ne me faites pas croire qu’avec vos 74 canons vous ne puissiez pas envoyer ce pirate par le fond ! Que peut faire cette Bloody Mary face à un vaisseau de ligne escorté de sa frégate ? Réponds François de La Chambraère en haussant les épaules.

- Hélas, Votre Excellence, la Bloody Mary est armée de canons suédois d’une bien plus grande portée que les nôtres. Il lui suffira de se tenir à distance pour nous canarder comme des lapins. De plus les canonniers du Bâtard Rouge sont d’une précision quasi diabolique. Leurs 38 canons suffisent à couler les plus grands navires. C’est ainsi que furent perdus corps et biens Le Rugissant et Le Beuglant qui étaient pourtant des vaisseaux de ligne de 118 canons !!!

- Qu’allez-vous faire alors ? S’intéresse le fils du gouverneur avec un demi sourire sceptique.

- Nous allons changer de cap pour prendre le vent en poupe et tenter de fuir. Ce n’est pas glorieux mais c’est notre seule chance. Grommelle le commandant de La Chevillette avant de hurler : « Barre à tribord toute !!! »

C’est dans des grincements fort alarmants de gréements que le lourd vaisseau de guerre vire soudain de bord mais déjà la frégate pirate accompagne le mouvement et attaque L’Impérieuse. En l’espace de 20 minutes, dans un grondement de canons, le navire de la Marine Royale est proprement démâté par des boulets à chaînes. L’Impérieuse riposte certes mais ses tirs sont bien trop courts pour atteindre son adversaire qui canonne à présent à boulets rouges.

Perruque et dentelles au vent, l’œil collé à son inséparable lorgnette, le Marquis de La Chevillette assiste à l’agonie de son navire escorteur qui bientôt s’embrase. L’équipage ne tarde pas à évacuer la frégate dévorée par les flammes. Capitaine en tête, c’est la ruée vers les chaloupes de sauvetage !

- Palsambleu !!! Ce coquin de Bâtard Rouge ne plaisante pas ! Il va à présent s’attaquer à nous ! Eructe La Chevillette.

Le digne officier n’a pas le temps de reprendre son souffle que déjà un boulet chaîné décapite le grand mat de son bateau. C’est le début de l’apocalypse !

Dans une rage dérisoire, Le Foudroyant fait tonner ses canons mais tous les boulets de 18 livres finissent irrémédiablement en jets d’écume à une bonne encablure du navire ennemi.

Les canonniers pirates sont en effet d’une précision diabolique. Chacun de leurs tirs semble atteindre son but. C’est tout d’abord le grand mât qui se couche puis ensuite le mât de misaine qui s’abat dans un fracas infernal. Les matelots, hache au poing, se ruent pour trancher les cordages car le vaisseau entrainé par le poids de ses mâts abattus prend de la gîte de manière très inquiétante.

Fortement incliné et ses sabords aveuglés par les voiles qui pendent lamentablement sur ses flancs, l’arrogant Foudroyant n’est bientôt plus qu’une épave.

Désespérément accroché à un cabestan pour ne pas glisser dans la mer, François s’adresse au commandant de vaisseau en gueulant à plein poumons :

- Cela suffit bien Marquis !!! Rendons-nous sinon nous allons tous y passer ! Si ce pirate me veut, eh bien qu’il me prenne !!! Je refuse d’être la cause de la mort de tous nos hommes !!!

- Votre geste vous honore, Votre Excellence ! Mais nous allons bientôt savoir si vous avez raison de prendre cette décision !!! Répond le Marquis de La Chevillette qui a perdu sa canne et sa perruque dans la bousculade, c’est-à-dire une bonne part de sa dignité.

C’est à la cime du mât d’artimon délabré, mais encore debout, qu’est hissé le drapeau blanc de la reddition.

Presque aussitôt le navire vainqueur cesse de canonner et affale sa grand-voile pour se mettre en panne en boutant vent. Apparemment immobile, la Bloody Mary n’en reste pas moins menaçante. Après un bref échange de messages à l’aide de drapeaux, il semble décidé qu’une délégation des pirates vienne parlementer à bord du Fulgurant.

Il faut dire que le grand vaisseau de la Marine Royale serait bien incapable de mettre l’une de ses chaloupes à la mer considérant qu’elles sont toutes réduites à l’état de bois de chauffage.

Malgré la distance, François voit maintenant une chaloupe se diriger vers le Foudroyant. Douze robustes gaillards souquent ferme tandis qu’un homme de haute taille barre la rapide embarcation.

Toujours cramponné à sa fidèle lorgnette, le Marquis Jean de la Chevillette s’exclame :

- Foutre, je n’en crois pas mes yeux, nous allons avoir la visite du Bâtard Rouge en personne !!!

- Et alors ? Grommelle François en haussant les épaules.

- Vous l’ignorer peut-être, Votre Excellence, mais c’est un insigne honneur car selon ce que je sais le Batard Rouge ne quitte jamais son navire. Vous devez avoir une grande importance à ses yeux pour qu’il vienne lui-même vous chercher. Gargouille le commandant de vaisseau.

- J’en ai rien à foutre. Que ce soit lui ou le diable qui vienne me chercher ! Pour moi, c’est du pareil au même ! Peste le jeune homme en s’avançant vers le bastingage qui n’existe plus.

Son cœur manque un battement quand il reconnaît son bel amant d’une nuit debout dans la chaloupe qui s’apprête à accoster. Il recule de quatre pas en maudissant cet abruti de Cupidon qui lui a planté une flèche si brûlante dans le cœur. Flèche qu’il voudrait tant arracher.

Un silence absolu fige le temps quand le capitaine des pirates pose le pied sur le pont ravagé du Foudroyant. Tête nue, botté et ceinturé de cuir d’Espagne, il a grande allure. Son port de tête est princier et sa démarche nonchalante évoque celle d’un grand fauve.

Sur son large torse ruisselle la soie fluide d’une chemise couleur du sang. Les crosses de ses deux pistolets damasquinés sont d’ivoire et le fourreau ciselé de son sabre est digne d’un roi barbare.

Il promène un regard distant sur la foule de matelots et de soldats rassemblés avant de s’adresser au commandant-en-chef :

- Je vous salue Marquis. Sachez tout d’abord que votre navire sera expédié par le fond si je ne suis pas de retour à bord de la Bloody Mary dans une heure. Cette mise au point étant faite, parlons.

- Je vous entends bien, Comte de Dutonnerre. Nous sommes à votre merci et capitulons mais je vous demande en grâce d’épargner la vie de mes hommes. Quelles sont vos conditions ?

- Merci Marquis de m’appeler par mon titre comme il convient. Cela prouve que vous êtes un gentilhomme respectueux de l’étiquette. Vous me demandez quelles sont mes conditions ? Pardieu elles sont fort simples et vous les connaissez déjà ! Livrez-moi le fils du Gouverneur Général des Antilles et j’épargnerais votre vaisseau et son équipage. Répond le pirate avec un petit sourire déplaisant.

Le Bâtard Rouge pivote d’un quart de tour pour braquer son regard turquoise sur le dit fils du Gouverneur qui rumine sa colère, bras croisés, adossé au moignon du grand mat.

- Alors, bel ami, êtes-vous prêt à me suivre ?

- Ouais ! Répond succinctement François de La Chambraère avant de cracher devant les pieds du pirate.

- Tss, tss, Il va me falloir vous apprendre les bonnes manières mon jeune ami !

- Va te faire foutre ! Rétorque le garçon blond d’un ton rageur.

Voyant que les choses risquent de tourner au vinaigre, l’officier de marine se croit obligé d’intervenir. Cambrant la jambe et relevant le menton pour essayer de recouvrer un peu de sa dignité, il annonce :

- Apprenez, Comte, que Monsieur de La Chambraère a décidé par lui-même de se livrer à vous pour obtenir en échange la vie sauve pour tous mes hommes.

- Ma foi, Marquis, cela sous-entend que ce paltoquet est un inconscient car si son paternel ne paie pas la rançon que je vais exiger, je lui renverrai son fiston par petits morceaux. Je vous demande céans de remettre cette missive à votre infâme gouverneur. Il prendra ainsi connaissance de mes conditions. Conditions qu’il devra respecter à la lettre s’il désire récupérer son rejeton en entier. Roucoule cyniquement le beau pirate en tendant une lettre cachetée au Marquis.

- Votre missive sera remise au Gouverneur Général des Antilles dans les plus brefs délais possibles, Comte. Je puis vous l’assurer. Chevrote le Grand Commandant de la Marine Royale.

- Bien ! À présent que tout est dit, je vous demande de me suivre instamment, François de La Chambraère. Gronde le Bâtard Rouge en tournant les talons après un bref salut au Marquis.

Le fils du gouverneur emboîte le pas du pirate en serrant les mâchoires et les matelots s’écartent respectueusement pour laisser le passage aux deux hommes qui rejoignent la chaloupe en silence.

Le commandant de vaisseau regarde s’éloigner l’embarcation avec tristesse. Manifestement ce François n’est pas l’homme léger qu’il pensait au premier abord. Il a fait preuve d’un noble courage en se sacrifiant pour sauver de nombreux hommes voués à la mort. Que Dieu le garde sous Sa protection, espère-t-il sans grande conviction.

Mais à présent il faut retourner à Fort Royal. Que les charpentiers se mettent à l’ouvrage afin d’ériger un mât de fortune ! Le voyage sera long avec si peu de voilure mais quelle satisfaction pour le Marquis de ramener à bon port ses hommes sains et saufs.

Au loin, L’Impérieuse n’est plus qu’un brasier qui s’enfonce lentement dans les abysses de l’Océan et ses chaloupes surchargées d’hommes hagards convergent vers le grand vaisseau démâté qui sera leur seul et fragile salut dans ces eaux pleines de requins et d’Anglais impérialistes.

Quant à la frégate pirate, elle hisse les voiles et s’éloigne, victorieuse, dédaigneuse, emportant avec elle le jeune François de La Chambraère devenu à présent l’otage du Batard Rouge.

- Sois le bienvenu à bord de la Bloody Mary. Dit Odon en s’adressant à son prisonnier qui tente de garder la tête haute.

François constate avec surprise que le bâtiment est d’une grande propreté. Les cuivres rutilent et tout est de qualité dans les moindres détails. L’équipage, constitué d’hommes noirs pour la moitié, est vêtu d’habits confortables et semble bien nourri.

Lui qui pensait découvrir un ramassis d’hommes sauvages, lubriques et dépenaillés vautrés dans la crasse et le désordre, il découvre de solides gaillards aimables et souriants qui lui tendent la main pour l’aider à monter à bord.

C’est cependant d’un ton dur que le capitaine des pirates lui intime l’ordre de le suivre dans sa cabine tandis que tous les matelots retournent à leurs occupations. Située dans le gaillard arrière, la cabine d’une sobre élégance, est spacieuse. Il y a un grand lit mais aussi une longue table couverte de cartes marines, de compas et de sextants.

- Déshabille-toi ! Ordonne le Bâtard Rouge.

- Pourquoi me déshabillerais-je puisque tu connais mon corps dans ses moindres détails ? Répond François avec un sourire triste.

- C’est justement parce que je connais ton corps que je veux que tu te déshabilles.

- Non !

- Comment ça, non !!? Dois-je utiliser le fouet pour me faire obéir ?

- Utilise ton fouet, je n’en ai rien à branler ! Je ne me déshabillerais pas ! S’entête le garçon blond.

Odon éclate de rire et s’empare d’une carafe de cristal pour remplir d’eau deux verres à pied. Il tend l’un des verres au gaillard têtu qui le vide d’un trait. Il arrache ensuite sa chemise de soie rouge pour se mettre torse nu. Il s’amuse du regard par en dessous que lui lance son prisonnier. Il s’amuse surtout de la soudaine grosse bosse qui gonfle l’entre-jambes du jeune homme.

- Mais tu bandes mon salaud ! Tu ne veux vraiment pas venir tirer un coup avec moi ? S’esclaffe le pirate en lui giflant le paquet d’un revers de main.

- Si, j’aimerais beaucoup baiser avec toi mais je ne le ferais pas. Je suis ton otage et nous ne sommes plus sur cette plage magique où j’ai eu le malheur de te rencontrer. Répond François en rougissant jusqu’à la racine des cheveux.

- Oui, c’est vrai que cette plage était magique et ce soir-là tu as sauvé ta vie par un baiser. Murmure le pirate d’une voix nostalgique.

- Comment cela, sauver ma vie par un baiser ?

- Je savais que tu étais le fils du gouverneur et j’avais l’intention de te tuer pour me venger du mal que m’avait fait ton père mais quand tu as embrassé la marque infamante que je porte sur le cul, tu m’as ému un instant et je t’ai épargné. Confesse le Bâtard Rouge en dérobant son regard.

L’homme blond ouvre de grands yeux qu’il braque sur le trop beau pirate. Il semble souffrir de découvrir la vraie nature de ce merveilleux amant d’un soir et déglutit péniblement. C’est d’une voix très rauque qu’il parvient à dire :

- Ainsi tu m’aurais tué juste après que nous ayons fait l’amour ?

- Ouais ! Ça ne m’aurait posé aucun problème.

- Si tu es capable d’agir ainsi, que m’arrivera-t-il si mon père ne paie pas la rançon que tu exiges ?

- Je te découperais en morceaux pour les lui expédier afin de le convaincre.

- Par quoi commenceras tu ?

- Par les oreilles, puis ensuite je te trancherai les mains, les pieds, la queue et je finirai par la tête. Énumère froidement le métis avec un sourire cruel.

- Dans ce cas, tu peux commencer tout de suite l’équarrissage parce que mon père ne paiera jamais ma rançon. Il aime bien davantage son or que moi. Grimace François de La Chambraère en se déshabillant.

Il laisse choir sur le sol cravate de soie, veste à brandebourgs, gilet brodé, chemise à dentelle et tout le tralala pour apparaître nu comme un Adam en début de carrière.

Sous sa peau blanche et soyeuse agrémentée d’un duvet doré ondule une belle musculature acquise dans les salles d’armes. Ses longues jambes musclées sont celles d’un cavalier capable de maîtriser un cheval ombrageux à la force des genoux. À son cou il porte un cordon qui soutient un petit médaillon d’or.

En faisant sonner le plancher sous les talons de ses bottes, Odon s’avance vers l’athlète pour lui saisir brutalement le sexe à pleine main.

- Mais, tu ne bandes plus ? Gronde-t-il.

- Pardonne-moi, Odon, mais vu ce qui m’attend il m’est difficile de bander. Tu devrais peut-être le comprendre. Lui rétorque l’otage en redressant la tête.

Le visage fermé, le Bâtard Rouge tourne autour de son prisonnier en palpant rudement ses muscles comme le ferait un maquignon avant d’acheter un étalon à la foire aux bestiaux. Avisant le médaillon d’or, il rompt sèchement le cordon pour s’en emparer.

- Qu’y a-t-il dans ce médaillon ? Le portrait de ta fiancée ou peut-être bien celui de ton amoureux ? Taquine-t-il.

- Rien ! Il n’y a rien dans ce médaillon ! Je t’en prie, ne l’ouvre pas ! Implore François.

Avec un petit sourire mauvais, le pirate recule d’un pas et ouvre le médaillon d’un coup de pouce. Son visage se fige quand il découvre la fleur de frangipanier séchée. Un moment il contemple le fragile vestige puis le saisit pour le broyer dans son poing.

- Pourquoi te contenter d’une fleur séchée puisque tu disposes d’un homme plein de jus ? Gronde-t-il en montrant les crocs.

- Je n’ai que faire du jus d’un homme qui ne m’aime pas et qui est prêt à me débiter en morceaux. Je préfère cent fois cette fleur sèche à toi. Rétorque dédaigneusement l’homme nu.

- Tu ne m’aimes donc plus ?

- Je crois bien que non ! Finalement, tu es incapable du moindre sentiment.

- Alors apprends à m’aimer comme je suis. C’est du gagnant-gagnant, tu sauveras ta peau et tu nous rendras heureux. Que demander de plus ? Tu peux aussi me donner des cours d’amour… Roucoule Odon en le saisissant à pleins bras.

- Te donner des cours d’amour ? S’interloque François.

- Ouais, pourquoi pas ?

- Et tu veux commencer quand ?

- Tout de suite pardi !!! Ce sera la leçon numéro un ! Sourit le pirate en resserrant son étreinte.

François ne peut s’empêcher d’éclater de rire et quand les lèvres du Bâtard Rouge se posent sur les siennes, il répond à son baiser sans la moindre hésitation. Comme par enchantement il est alors transporté sur cette plage maudite où il a égaré son cœur.

C’est avec sauvagerie que les deux gars s’étreignent et que chacun exige le corps de l’autre avant d’offrir son corps à l’autre. C’est avec fureur que leur bouche cherche l’autre bouche qui sinon mordra ou sucera ces endroits intimes de l’homme qui sont tout à la fois si forts et si vulnérables.

Tels deux tigres joueurs qui alternent croc et patte de velours, Odon et François luttent et s’entredévorent, assoiffés d’amour. Mais les orgueilleux sont-ils capables d’aimer ? Pour eux il faut un vainqueur. Or en amour il n’y a pas d’autre vainqueur que l’Amour lui-même. Lui seul triomphe.

La sueur, la salive et le sperme se mêlent sur les peaux brillantes des beaux amants qui épuisent leurs jeunes forces en de longs assauts. Les membres enchevêtrés et la poitrine haletante, ils s’endorment enfin sur des draps gorgés de leur sève virile. Toutes voiles dehors, étrave fendant les flots, la Bloody Mary navigue vers son destin.

- Je t’ai fait aménager une cabine dans la dunette mais cette nuit tu dormiras avec moi. Décide le Bâtard Rouge.

- Non !

- Quoi !!! Encore non !!? S’indigne l’orgueilleux capitaine pirate, seul maître à bord après Dieu.

- Je ne dormirai pas avec toi, ni même dans la cabine que tu me destine. Donne-moi un hamac. Cette nuit, comme les suivantes, je dormirai dans les pontons avec tes hommes. Ce sera la leçon d’amour numéro deux. Déclare François en se relevant.

- Mais tu es un seigneur, François, ta place n’est pas parmi mes matelots. Tu es certes mon prisonnier mais tu as droit aux égards dus à ton rang. De plus, avec ton petit cul d’enfer, tu vas te faire violer toutes les nuits. Est-ce cela que tu recherches ?

- N’aies crainte, je suis un grand garçon et je sais me défendre. Je serai moins en danger avec tes hommes que dans ton lit. Donne-moi aussi des habits plus simples que mon déguisement d’ambassadeur qui commence à me gêner aux entournures. Un pantalon et une chemise de matelot me conviendront parfaitement. Veux-tu ?

Bien sûr qu’Odon ne veut pas mais il sait maintenant que le François est un cabochard et qu’il devra être patient avec lui. Sa première pulsion fut de dompter, de briser, de dépecer ce garçon qui est, pour son malheur, le fils de l’homme qui a fait tuer sa mère. Sa mère la très belle Lady Mary.

Le Batard Rouge a le cœur submergé de haine et pourtant quand le regard bleu de François se plante dans ses yeux, il redécouvre des vestiges de sentiments qu’il pensait à jamais disparus.

- Tu es un ingrat, François !

- Et en quoi suis-je un ingrat ? interroge l’otage blond.

- C’est pour toi que j’ai épargné Le Foudroyant et son équipage. Tu passes à présent pour un héros qui s’est sacrifié pour sauver la vie du Marquis de La Chevillette et de ses hommes alors qu’il m’aurait suffi de quelques coups de canon pour finir le travail et envoyer tout ce joli monde par le fond.

- Merci d’avoir épargné tous ces gens, mais pourquoi as-tu fait cela ? Interroge François d’une voix hésitante.

- Peut-être pour te faire un cadeau ou peut-être pour te prouver qu’il reste un peu d’humanité en moi. Je ne sais pas. Murmure le pirate en lui tournant le dos.

Le garçon blond, soudainement songeur, ne répond pas et le silence s’installe dans la cabine. Le Bâtard Rouge se dirige vers la porte qu’il ouvre pour héler un homme qui attend à proximité. L’homme accourt. C’est un grand échalas tout en os et en muscles, tatoué des oreilles aux orteils.

- Premier maître, donnez des vêtements à Monsieur de La Chambraère et conduisez-le au second pont. Qu’il lui soit affecté un hamac parce qu’il dormira dorénavant avec les hommes de l’équipage. Vous veillerez à sa sécurité bien qu’il soit improbable que les matelots lui fassent du mal. Ordonne Odon d’une voix sourde.

Bas de plafond et parcimonieusement éclairé par quelques sabords entrouverts, le sous-pont sert de dortoir à l’équipage. Entre les canons, sont suspendus de nombreux hamacs dans lesquels les hommes dorment à tour de rôle. Pour atténuer la rugosité des mailles de chanvre, il y a un petit matelas plat au fond de chaque hamac. Le confort semble des plus spartiate.

Quand Son Excellence le Ministre plénipotentiaire des Antilles Françaises débarque vêtu en matelot avec son barda sur l’épaule, il est vite entouré par de grands gaillards balafrés qui sont très curieux de savoir ce qu’il vient foutre chez eux. Leur tanière ne peut convenir à un gentilhomme.

- Le Milord n’a pas eu droit à sa cabine privée !? Gouaille l’un d’eux.

- Si, mais le Milord a choisi de dormir avec vous. Riposte François avec un grand sourire.

- Pourquoi ça ? Questionnent presque tous en chœur les pirates attroupés autour de lui.

- Parce que le Milord préfère dormir avec des gonzesses plutôt qu’avec un mec obsédé du cul. Répond-il sereinement.

Fort heureusement pour lui, les pirates ont quelquefois le sens de l’humour et après un bref silence ils accueillent la boutade par un grand éclat de rire général. C’est avec de grandes claques amicales dans le dos et en rigolant qu’ils lui désignent le hamac dans lequel il devra dormir.

On mange bien à bord de la frégate du Batard Rouge, surtout que ce soir, pour fêter la énième victoire sur la Marine Royale, les cuistots ont fait rôtir trois gros cochons. C’est bombance et le rhum coule délicieusement dans les gosiers.

Pour François, la journée a été très chargée mais la bonne chère ainsi que la neuve fraternité des matelots lui apportent du réconfort. C’est donc la bedaine bien pleine qu’il s’endort paisiblement dans son hamac, bercé par le mouvement de la houle et la ritournelle des clapotis.

C’est un souffle brulant sur sa poitrine nue qui le réveille. La maigre lueur d’une lampe à huile lui permet de distinguer un gigantesque homme noir penché sur lui. L’homme chuchote pour ne pas réveiller les hommes du dortoir qui ont pourtant tous les yeux grands ouverts. D’ailleurs, dans la pénombre, plusieurs ombres autant silencieuses que curieuses s’approchent déjà.

- Je suis Rocco, ton quartier-maître. C’est à moi que tu devras obéir. Il faut donc que nous fassions connaissance et que je te donne mes instructions. Donne-moi ton cul vite fait, je vais t’expliquer tout ça…

- Yes Sir! I am ready Sir! Fuck me Sir ! Répond le beau blond en prenant la posture adéquate après s’être déculotté.

- Tu parles anglais ?

- Yes Sir, un peu. Il le faut bien parce que je suis diplomate. Je rencontre parfois des Anglais pour parlementer. Explique François.

- Sais-tu que la mère de notre capitaine était une lady anglaise ? Elle est morte les armes à la main en voulant sauver son fils. C’est pourquoi le bateau s’appelle la Bloody Mary.

- Non, je ne le savais pas. Il faudra que tu me racontes tout ça un jour, Sir. S’intéresse le matelot novice mais studieux.

- Entendu, mais pour le moment ouvre ton cul, il faut que je t’apprenne le métier de matelot. Dit le colosse en sortant son gourdin de chair.

François est un homme courageux comme nous le savons tous à présent mais à la vue du monstre que Rocco s’apprête à lui carrer dans le train, il tremble un peu.

- Vas-y mollo avec ton engin, Sir, je ne veux pas me retrouver à l’infirmerie.

- No problem, je vais être soft. Le rassure Rocco. Tu vois, grâce à toi, maintenant, je parle couramment l’anglais.

- Tu apprends vite, Sir. Constate François.

- Oui, je pense que je suis doué pour les langues étrangères. Affirme le grand noir en enfilant sans plus attendre le fils du gouverneur général des Antilles.

François ne peut retenir un long râle pathétique pendant la pénétration. Sous le poids des deux hommes, le hamac grince de façon alarmante d’autant que Rocco dispose d’un coup de rein absolument fabuleux qui rappelle au jeune aristocrate le galop impétueux de son étalon espagnol.

- Holà, tu me défonces total, mec !!!

- Accroche toi mignonne, ça ne fait que commencer !!! Eructe l’impitoyable Rocco en accélérant la cadence.

Cette tumultueuse et virile agitation déplace le mince matelas et le sexe du garçon immolé passe à travers les mailles du hamac. Sa grosse bite se balance maintenant dans le vide, turgescente, vibrante et coulante.

Le mousse, un petit rouquin très mignon nommé Piccolo, remarque ce détail et se glisse alors sous le hamac pour téter goulument le membre viril qui lui accorde bientôt une copieuse rasade de foutre.

Tout autour du hamac il y a une troupe d’hommes qui se masturbent, la langue coincée entre les dents. Tous s’accorderont à dire que leur nouveau copain de chambrée est un chaud du cul.

C’est ainsi que commence pour François de La Chambraère une brève mais enrichissante carrière de matelot. À bord de la Bloody Mary, sa réputation de baiseur exceptionnel se répand comme une traînée de poudre. Il y a beaucoup de demande mais c’est un garçon vaillant qui a le cœur à l’ouvrage. Rien ne le décourage. Il est le mâle de la plupart et la femelle de beaucoup d’autres.

Parfois, la bouche ouverte dans un cri silencieux et le ventre noué par un orgasme ravageur, il pense à Odon. Il sait que l’équipage se compose de 237 hommes, ce qui n’est tout de même pas la mer à boire. Il lui suffira de s’organiser.

Les jours et les semaines passent.

La belle et redoutable frégate du Bâtard Rouge navigue d’île en île et de port en port. À son apparition les navires Anglais et Français se dérobent et les iliens deviennent hospitaliers.

Sur ordre d’Odon, à chaque escale, François est étroitement enchaîné à un canon afin de prévenir toute tentative d’évasion. Il est alors sous la garde vigilante des hommes de l’équipage qui profitent de la situation pour le pomper des heures durant. Le prisonnier ne proteste aucunement parce que cela fait passer le temps plus vite et qu’il aime faire plaisir à ses compagnons de chambrée.

Il arrive que le Bâtard Rouge passe à proximité en faisant mine de ne pas voir l’attroupement autour du captif dont les couilles semblent intarissables.

Le Marquis de La Chevillette est de fort belle humeur. De retour à Fort Royal après avoir surmonté maintes épreuves Ulyssiennes, il vient d’apprendre par une lettre du Conseil du Roi qu’il était nommé Amiral de la flotte des Antilles. C’est donc avec le sourire aux lèvres qu’il remet au Gouverneur la missive contenant la demande de rançon du Bâtard Rouge.

À la lecture de la lettre, le teint du Gouverneur Général des Antilles vire du blanc le plus grisâtre au pourpre le plus violacé.

- Ce pirate est un dément !!! Comment peut-il s’imaginer que je puisse payer une somme pareille pour faire libérer mon fils ??? Glapit-il en secouant ses bajoues.

- Vous êtes un incapable, La Chevillette !!! Comment avez-vous pu abandonner François entre les griffes de ce monstre !!! Rajoute-t-il en piétinant rageusement sa perruque poudrée.

- Le Comte Odon de Dutonnerre n’est pas un monstre, Monsieur le Gouverneur. Il s’agit d’un homme qui se venge du mal que vous lui avez fait.

- Comment osez-vous dire cela ? Ce bâtard mulâtre complotait contre le Roi de France, le Bien-Aimé Louis XV !!!

- Vous savez mieux que moi que cette accusation était infondée autant que mensongère. Ce n’était qu’un prétexte odieux pour vous emparer de ses domaines après la mort de son père le Comte Gontran de Dutonnerre. Cela avec la complicité de ses cousins cupides qui avaient tout intérêt à dénoncer sa légitimité. En outre les conditions de son arrestation furent abominables. Était-il bien nécessaire que vos sbires torturent et violent ce garçon innocent ?

- Je…

- Vous souvenez-vous, Monsieur le gouverneur, de quelle manière vos spadassins ont fini leurs misérables carrières ? Conclut l’Amiral avec un grand sourire.

Le gouverneur blêmit. Il se souvient parfaitement comment ses hommes de main avaient tous fini. Jusqu’au dernier, ils avaient été retrouvés accrochés aux murs de la ville, éventrés et émasculés. Certains des violeurs avaient même été empalés. C’était le début de la vengeance du Bâtard Rouge.

- Je… je vous interdis de m’accuser de la sorte !!! Il y eut un procès équitable avec de nombreux témoignages attestant de manière irrévocable la félonie de ce misérable !!!

- Vous savez très bien que ce procès n’était qu’une mascarade et que les quatre témoins n’étaient autres que vos complices planteurs avec lesquels vous deviez partager le butin. Ricane l’Amiral.

Les petits yeux chafouins du gouverneur lancent des éclairs meurtriers. Il voudrait tuer cet homme qui ose lui dire ses quatre vérités. Mais l’Amiral est un personnage bien trop puissant pour qu’il puisse le faire taire. Certains prétendent même que ce dernier aurait l’oreille du roi. Aurait-il instruit Sa Majesté Louis XV de ses manigances ? Il explose !

- Il était inconcevable que le fils d’une négresse puisse être l’héritier de la plus grande fortune de France et puisse également porter le titre de Comte !!! C’était inconcevable !!! Absolument inconcevable !!! Éructe le Gouverneur en déchirant sa cravate de dentelle.

- Cette négresse, comme vous le dites si peu courtoisement, était par le mariage, la Comtesse de Dutonnerre, Monsieur le Gouverneur, quoique vous disiez ! Rétorque le Marquis Amiral en frappant le parquet de sa canne d’acajou.

Indigné, l’aristocrate pivote sur les talons pour contempler l’Océan par-delà la grande fenêtre du palais. Il se souvient. Il se souvient d’une grande femme noire à la beauté fascinante et à l’esprit subtil. Il se souvient comment la Comtesse, à la tête d’une troupe armée de fidèles, avait pris d’assaut la prison de l’île pour libérer son fils Odon condamné à la pendaison.

Le jeune comte était parvenu à s’échapper mais l’impétueuse Comtesse surnommée Lady Mary avait été abattue par les soldats au moment où elle s’apprêtait à remonter à cheval. Le Marquis soupire. Il avait toujours été secrètement amoureux de Mary. Il porte un regard de mépris sur le petit tyran abject qui s’éponge le front avec les lambeaux de sa cravate. Il est évident que l’homme sue de peur.

Phileas de La Chambraère a de bonnes raisons de suer de peur ainsi que ses infâmes complices. Depuis quatre ans déjà, Odon, Comte de Dutonnerre devenu le Bâtard Rouge répand la terreur autant sur l’île que sur l’Océan. Son charisme et son immense fortune lui permettent de régner en maître de manière occulte. Il a des hommes partout. Des hommes qui lui sont dévoués corps et âme.

Le gouverneur a transformé son palais en forteresse mais c’est une précaution dérisoire car tous savent que lorsque le Bâtard Rouge aura décidé de frapper, rien ne pourra s’opposer à sa vengeance.

Le Bâtard Rouge prend son temps. Sa haine s’aiguise au fil du temps. Il semble se délecter de l’angoisse mortelle de ses anciens persécuteurs. C’est le jeu cruel du chat et de la souris.

La mort rôde autour du gouverneur mais la cupidité de ce dernier reste plus forte encore que la peur.

- Il n’est absolument pas question que je paie cette rançon !!! J’ai trop besoin de mon or pour tenir mon rang à la Cour. Mon fils est très malin, il saura bien se tirer d’affaire tout seul ! Brame-t-il.

- Mais enfin, Monsieur le Gouverneur, le Bâtard Rouge risque bien de découper François en morceaux si vous ne payez pas la rançon ! Argumente l’Amiral une ultime fois.

- Qu’importe cela ! L’affaire est entendue ! Faites savoir à ce maudit pirate que je ne paierai pas un liard pour faire libérer mon fils. Conclu le gros homme chauve avant de sortir de la salle d’audience.

La mort dans l’âme le Marquis rédige un courrier de la plume la plus diplomatique qu’il puisse avoir. Il doit informer le kidnappeur de François de la décision du gouverneur. Pour prendre rendez-vous avec le pirate il lui suffira de faire hisser, comme convenu, un fanion bleu au sommet du grand mât de son nouveau vaisseau, le gigantesque vaisseau amiral Le Triomphant actuellement amarré à quai.

Sans plus tarder il convoque l’un de ses lieutenants, le lieutenant Larondelle, son homme de confiance. Le lendemain, c’est attablé dans la grande salle de l’auberge « Le Perroquet Bavard » que l’émissaire du Marquis de La Chevillette attend la venue du Bâtard Rouge. L’homme est très inquiet car il connaît la teneur de la missive dont il est porteur.

Les colères du Bâtard Rouge sont légendaires et font trembler les habitants des îles des Caraïbes. Comment va réagir le pirate en apprenant que le gouverneur refuse de payer la rançon de son fils ?

Il n’ose l’imaginer et pousse un grand soupir angoissé.

Comme par enchantement, une haute silhouette rouge se matérialise devant sa table. L’homme est bien découplé. C’est un métis à la peau particulièrement claire. Il est armé d’un sabre et d’une paire de pistolets de très belle facture. Si on ne tenait pas compte de l’épaisseur de ses lèvres sensuelles on pourrait croire être en face du dieu Hermès.

Sans prendre la peine de se présenter et de s’asseoir, l’homme vêtu de rouge sombre tend la main pour que le commissionnaire lui remette la lettre cachetée. Celui-ci n’hésite pas à la lui donner car il sait instinctivement que c’est le Bâtard Rouge en personne qui est en face de lui.

Sur les îles colonisées par les Espagnols, par les Anglais, par les Hollandais et par les Français, le Bâtard Rouge est toujours chez lui. Les nobles, les soldats et les gendarmes détournent prudemment leurs regards quand il apparaît en ville. Précédé d’une réputation de cruauté sans pareille, il est alors comme un tigre nonchalant évoluant parmi un troupeau de biches tremblantes.

Après avoir brisé le sceau de cire d’un coup de pouce habile, le grand pirate hanche élégamment en lisant la missive attentivement. L’émissaire du Marquis se tasse sur sa chaise en attendant l’orage. Mais qu’elle n’est pas sa surprise en voyant les lèvres du Bâtard Rouge s’étirer en un sourire satisfait.

- Tout cela est parfait, je n’ai plus à avoir le moindre scrupule dorénavant. Ronronne-t-il en repliant la lettre pour la glisser dans son gilet.

Gilet dont il sort une bourse qu’il jette sur la table.

- Voici quelques dizaines d’écus d’or pour vous remercier de m’avoir apporté une si plaisante nouvelle. Vous transmettrez mon bonjour à Monsieur de La Chevillette. Dit-il en disparaissant aussi magiquement qu’il était apparu.

Abasourdi, l’homme contemple la bourse pleine d’or en se demandant s’il n’a pas rêvé mais c’est sans plaisir qu’il finit son verre de rhum avant de se lever. Un sombre pressentiment l’assaille. Que va-t-il advenir du fils du Gouverneur, ce garçon rieur d’un abord si sympathique ?

Seulement vêtu d’un pantalon corsaire déchiré à des endroits stratégiques, François de la Chambraère est à quatre pattes sur le pont de la Bloody Mary. À l’aide d’un large grattoir il racle soigneusement les planches de chêne comme le lui a ordonné le quartier-maître Rocco.

Très absorbé par sa tâche ingrate, il lui faut un bon moment pour voir la paire de bottes plantée devant lui. Il relève la tête pour découvrir le sourire narquois du Bâtard Rouge qui le domine de toute sa hauteur.

- Votre Excellence prend de l’exercice à ce que je vois ! Cela semble lui réussir car je trouve le modelé de son corps encore plus appétissant qu’à l’accoutumée… se moque le pirate.

Le comte Odon de Dutonnerre alias le Bâtard Rouge est très frustré car cela fait de longues semaines que François n’est pas venu le rejoindre dans sa cabine et les rumeurs coquines qui circulent à son sujet sur le navire ne lui plaisent guère. Le beau pirate a les boules d’autant plus que son prisonnier est plus craquant que jamais.

Le soleil des Caraïbes a doré sa peau et les multiples corvées qu’on lui inflige durcissent et font saillir ses muscles de manière fort plaisante. Il est devenu la coqueluche de tout l’équipage.

- Comment vas-tu ? Questionne Odon en essayant d’être affable.

- Merci, je vais très bien ! J’ai la pêche et je me tape tout ton équipage ! Et toi, comment vas-tu ? J’espère que tes nuits avec la Veuve Poignet ne sont pas trop monotones. Ironise le prisonnier insolent.

C’est trop d’arrogance pour Odon qui décoche un coup de botte dans l’épaule de l’homme agenouillé. Projeté en arrière, François s’étale sur le pont. Malheur pour lui, le moussaillon amoureux se précipite pour l’aider à se relever...

Une fureur jalouse s’empare alors du Bâtard Rouge qui décoche un autre coup de pied féroce dans le ventre musculeux de son amant infidèle. Le souffle coupé, François se relève péniblement pour faire face à son agresseur.

- Si je n’étais pas ton prisonnier, je te demanderais réparation sur-le-champ pour cet outrage !!! Gueule-t-il à tue-tête.

- C’est-à-dire ? Fredonne le capitaine des pirates.

- Je te défierais en duel pour te crever la panse !!!

Les poings sur les hanches, le Bâtard Rouge se renverse en arrière pour émettre un rire fracassant. Déjà des hommes s’approchent, attirés par l’altercation. Il n’est un secret pour personne que leur capitaine kiffe grave pour son otage mais qu’il ne veut pas l’admettre. Cela est amusant mais pourrait devenir inquiétant également…

- Comment un petit gandin de ton espèce pourrait-il se battre en duel ? Rigole le pirate.

- Donne-moi un sabre et je vais te l’expliquer, pirate d’opérette !!!

- Donnez un sabre à ce présomptueux afin que je lui donne une bonne et définitive leçon. Ordonne le Bâtard Rouge en dégainant son sabre étincelant.

Après un instant d’hésitation, un pirate tend son sabre à François qui le saisit avec détermination. Il se cambre fièrement en fouettant l’air de sa lame courbe.

- Je suis bien meilleur à l’épée qu’au sabre mais je me débrouillerai quand même. Dit-il.

Cérémonieusement, l’homme à demi nu place son arme à la verticale devant son visage pour saluer son adversaire puis se met en garde, solidement planté sur ses pieds nus. Babines retroussées par un sourire féroce, le flamboyant Bâtard Rouge lance son premier assaut, sabre haut.

Amusés, les pirates font cercle autour des deux adversaires mais dès les premiers croisements de fer ils comprennent que l’affaire sera sérieuse. Odon est un maître du combat au sabre mais il s’avère que le fils du gouverneur est un escrimeur talentueux. Il est évident que les deux jeunes hommes veulent en découdre.

C’est un long combat furieux dont l’issue devient rapidement incertaine. Les spectateurs sont fascinés. L’ardeur des sabreurs s’intensifie et les coups de flanc, de pointe et de tête se succèdent à un rythme de plus en plus rapide. Prenant à défaut une parade de François, Odon, par une botte en tierce, lui inflige impitoyablement une longue balafre sur le torse du tranchant de sa lame.

Ignorant le regard de reproche que lui adresse le jeune homme, le Bâtard Rouge attaque de nouveau avec une férocité accrue. François comprend alors que le duel ne s’interrompra pas au premier sang et il resserre sa garde en se plaçant en défense. Ce qu’il lit dans les yeux de son adversaire lui fait encore plus de mal que sa blessure.

Odon porte maintenant des bottes vicieuses et meurtrières mais, dans l’un de ses élans, il se découvre trop, permettant à François de lui planter sa lame dans la poitrine.

Le coup d’estoc, placé haut sous la clavicule près de l’épaule droite, n’est pas mortel mais la blessure est profonde et oblige le duelliste à lâcher son arme. Le visage décomposé, François jette son sabre au sol et se précipite pour saisir l’homme titubant dans ses bras. Un sang abondant coule sur la chemise rouge.

- Pardonne-moi Odon, je ne voulais pas te blesser mais j’ai cru un instant que tu voulais vraiment me tuer !

- Ouais, c’est exact, je voulais te tuer, chienne !!! Aboie le pirate en tentant de réprimer sa grimace de douleur.

Les matelots ont certes de la sympathie pour leur nouveau compagnon dont la queue et le cul leur accordent tant de félicité mais leur capitaine est un dieu pour eux. Aussi se ruent-il sur le fils du gouverneur pour le lyncher.

- Ne touchez pas cet homme !!! Pansez sa blessure et mettez-le aux fers !!! Rugit alors le Bâtard Rouge.

Le garçon blond n’oppose aucune résistance quand les matelots s’emparent de lui pour l’entraîner dans la cale la plus profonde du navire.

Voici près d’une semaine que François de La Chambraère se morfond dans l’obscurité humide de la calle. La chaîne rivée à ses chevilles ne lui permet guère de se déplacer. Il dispose d’un seau pour ses besoins et d’une cruche d’eau pour s’abreuver. Il a presque perdu la notion du temps.

S’éclairant d’un lumignon, un homme, une fois par jour, lui apporte une gamelle de brouet et un quignon de pain. Il ne répond jamais à ses questions et s’en retourne sans un mot. Le prisonnier pue tellement qu’il parvient maintenant à sentir sa propre odeur.

Dormant replié sur lui en position fœtale, le prisonnier n’a pas entendu venir le Bâtard Rouge. Levant sa lanterne haut, celui-ci contemple un instant le jeune homme recroquevillé sur le sol fangeux avant de lui assener un coup de pied pour le réveiller.

Quand François se redresse en levant les yeux, il ne voit rien, ébloui par la lueur pourtant faible de la lanterne. C’est une voix familière qui lui fait comprendre qu’Odon est devant lui.

- Tu devrais avoir honte de dormir par une si belle journée. Dit le pirate.

- Va te faire foutre ! Répond François en plongeant la tête entre ses genoux.

- Vous devriez varier un peu votre répertoire Votre Excellence. Ne connaissez-vous pas un autre mot que le mot foutre ? Pour un diplomate, c’est assez limité… Ricane Odon.

L’otage ne peut s’empêcher de rire. Il est si heureux de revoir l’homme qu’il aime ! Que lui importe la situation dans laquelle il se trouve lui-même, Odon est vivant et son cœur déborde de bonheur.

Odon est vivant et c’est ce qui importe pour lui.

- Je viens t’annoncer une bonne et une mauvaise nouvelle. Dit le visiteur.

- Ah bon, dis-moi ? Questionne François d’une voix éraillée par le silence imposé par les longs jours de claustration.

- La bonne nouvelle : C’est que tu n’es plus mon otage. La mauvaise nouvelle : C’est que tu as perdu toute valeur et que je ne sais plus quoi faire de toi.

- Pourquoi ça ?

- Parce que ton père le gouverneur refuse catégoriquement de payer ta rançon et qu’il va falloir que je prenne d’autres dispositions. Que vais-je faire de toi, François ?

- Tu n’as qu’à me balancer par-dessus bord avec un boulet au pied ! Comme ça l’affaire sera réglée ! Je t’avais bien dit que mon paternel est un homme cupide et que son or est bien plus important que moi à ses yeux. Tu perdras ton temps à me découper en morceaux, ce fumier ne changera jamais d’avis. Finissons-en !!! Rage l’otage en secouant ses chaines.

Odon ne répond pas. Il se contente de hausser les épaules et de s’asseoir près du gars enchaîné. Un long moment, épaule contre épaule, les deux hommes gardent le silence.

- Tu as mal ? Interroge François à mi-voix.

- Moins depuis hier mais je ne peux pas encore me servir de mon bras droit. Remarquable ta contre-attaque en prime pour te replacer en tierce. Le toubib m’a dit que tu étais un artiste parce que ton coup d’estoc remontant n’a pas crevé le poumon ni tranché de grosses veines. Et toi, dis-moi, tu as mal ?

- Presque plus mais quand le chirurgien m’a recousu il m’a dit que j’aurais une belle cicatrice.

- Tu auras une belle cicatrice à condition que je te laisse vivre. Rectifie le pirate en retroussant ses babines à la manière d’un loup.

- Oui, cela va sans dire, un mort ne cicatrise pas. Je suis désolé de t’avoir blessé mais je ne pouvais pas me laisser humilier davantage. J’ai agi par réflexe. Pourtant j’aurais dû te laisser me tuer. Murmure François en hochant la tête.

- Tu m’aurais déçu en te laissant tuer. Mais encore une fois je te le demande, que vais-je faire de toi ?

- Je t’ai déjà répondu ! Tu n’as qu’à me balancer aux requins puisqu’à présent je ne vaux plus un clou !!! Répond le prisonnier d’une voix blanche.

- Je me moque éperdument de ta rançon qui ne représente rien par rapport à ma fortune.

- Tu es donc si riche que ça ?

- Mon père m’a légué une considérable masse d’or, de joyaux et de devises répartie en plusieurs endroits de l’Europe et des Amériques. Endroits que je suis le seul à connaître. Où que j’aille, je dispose d’un grand pouvoir.

- Alors pourquoi t’es-tu emmerdé la vie en me capturant et en me rançonnant puisque tu n’avais pas besoin de ce fric ?

- À vrai dire je ne sais pas trop. Je m’ennuie tellement parfois que j’ai peut-être trouvé cela amusant de jouer avec toi.

- Alors comme ça, je ne suis qu’un jouet pour toi ?

- Probablement.

- Va te faire foutre !!! Grince le jeune homme en repoussant son compagnon d’un brutal coup d’épaule qui ravive la douleur de ce dernier.

Le Bâtard Rouge se lève en grimaçant, saisit la lanterne et s’éloigne sans daigner répondre.

- Odon !

Le beau mulâtre se retourne et toise froidement le prisonnier enchaîné.

- Quoi ?

- Quoiqu’il advienne, je veux que tu saches que j’ai été heureux de te connaître.

L’homme à la peau sombre reste silencieux puis tourne le dos pour se fondre dans l’obscurité, le laissant seul en compagnie des rats.

Quand quelques heures plus tard, trois hommes viennent le chercher, François comprend que c’est fini pour lui.

- Nous allons tous te regretter, mec. Murmure le pirate qui lui lie les mains dans le dos.

Sans ménagement, il est traîné sur le pont. Aveuglé par un soleil éclatant, le condamné crispe ses paupières et il lui faut un long moment avant de pouvoir distinguer la longue planche placée sur le bastingage. Sous la sinistre planche, les vagues de l’Océan roulent comme des dos de monstres marins.

Une peur abjecte lui noue soudain les tripes. Aura-t-il le courage de grimper sur la planche du supplice pour se jeter à l’eau ?

Un rire intérieur lui annonce qu’il n’aura pas besoin d’avoir du courage car des piques plantés dans son dos le pousseront irrémédiablement vers son fatal destin. En dedans de lui, il pleure sa jeune vie, il pleure un amour qu’il a si sottement égaré sur une plage ensorcelante.

- À présent on va te décrasser. Le capitaine veut que tu sois propre comme un sou neuf avant de te sacrifier à Neptune ! Beugle un pirate tatoué en le poussant vers un bac rempli d’eau.

En essayant de demeurer le plus digne possible, François se place au milieu du baquet. On lui arrache les lambeaux de sa culotte. Il se sent minable ainsi dénudé, dépossédé de tout, uniquement vêtu de sa crasse.

- Tu pue autant qu’un putois ! Rigole un matelot en lui balançant dans la gueule le premier seau d’eau.

Ce sont alors des cataractes de flotte qui lui dégringole dessus. On le savonne et on le brosse ensuite avec tant de vigueur que les coutures de sa blessure se remettent à saigner. Qu’importe puisque son esprit est déjà loin de lui. Il pense seulement à Odon et fort heureusement l’eau dont on le submerge dissimule ses larmes silencieuses.

Des mains calleuses s’attardent sur son sexe, réveillant sa mâle puissance inassouvie durant ces longs jours d’incarcération.

- Pas touche, les mecs, le capitaine a ordonné de ne pas lui vider les couilles ! Et toi, Piccolo, arrête de lui pincer les seins !!! Orchestre le quartier-maître Rocco.

On rince le prisonnier à l’eau douce avant de l’éponger. Les matelots semblent très satisfaits de leur travail mais il leur faut absolument l’approbation de leur capitaine vénéré. Alors ils traînent l’homme dûment récuré et astiqué dans la cabine du Bâtard Rouge qui se repose nu sur sa confortable couche.

Un bandage blanc enveloppe sa poitrine blessée.

- Ah, te voici de nouveau baisable. Apprécie le Comte de Dutonnerre qui déguste un vieux rhum exquisément parfumé en mâchouillant des accras de crevettes croustillants.

Désorientée et aussi arrogante que pourrait l’être une crotte de chien, l’athlétique créature blonde se tient coite au pied du lit. Le garçon est affamé et son estomac se tord douloureusement à la vue de ces mets succulents.

- Approche et couche-toi à côté de moi. Lui ordonne Odon en congédiant ses hommes d’un geste de la main.

Brisé, les bras toujours solidement entravés, François se laisse choir sur le lit et plonge la tête dans un oreiller. La poitrine secouée par des sanglots rauques irrépressibles, il refuse d’échanger le moindre regard avec son bourreau. Il tressaille quand une grande main se pose sur son dos.

- Ne pleurniche pas François. Tu as bien mérité cette petite leçon. Tu vas apprendre ce qu’il en coute de se moquer du Bâtard Rouge. Cajole le pirate sadique.

Sous la baie en croisillons de la cabine, le vif sillage d’écume de la Bloody Mary s’estompe sur la surface de l’Océan parcourue d’ailerons de requins. Des mouettes criardes font cortège au fier navire qui poursuit son voyage vers l’horizon.

- Finissons-en, Odon. Tue-moi une bonne fois pour toutes, j’en ai plus que marre de ce jeu du chat et de la souris. Tout cela n’aboutira à rien, tu le sais comme moi.

- Pas encore, petite souris. J’ai perdu beaucoup de sang par ta faute et le sorcier-guérisseur m’a dit de me nourrir de toi. Selon lui, seul ton jus d’homme peut m’aider à recouvrer mes forces. Répond le métis en retournant brutalement le garçon sur le dos.

- Alors prends mon jus ! Dit simplement la proie.

C’est une longue cérémonie de caresses perverses et de succions avides. La bouche d’Odon est insatiable. Elle épuise l’homme désespéré qui veut pourtant donner toute sa sève à celui qu’il aime.

Les yeux grands ouverts sur un rêve amer, François s’offre sans mesure à son amant cruel.

Ses forces tarissent mais celles de son vampire croissent. Il est proche de l’inconscience lorsque le Bâtard Rouge écarte ses jambes pour le pénétrer et le tarauder jusqu’à ses tréfonds. Se laissant posséder sans une plainte, il se résigne à aimer sans être aimé.

Repu et comme gorgé de forces neuves, Odon, avec des gestes presque tendres, dénoue les cordes qui ligote son jeune amant épuisé. Étendus côte à côte, les deux hommes reprennent leur souffle. Les bandages qui ceinturent leurs torses sont imprégnés de sueur et tachés de sang.

- Et maintenant que tu t’es gavé en me vidant les couilles, que vas-tu faire de moi, Odon ? Me jeter à la baille, je présume ? Questionne François d’une voix distante.

- Tu as eu peur, n’est-ce pas quand tu as vu la planche que j’avais fait préparer sur le pont ? Jubile le Bâtard Rouge.

- Oui j’ai eu peur et j’ai cru ma dernière heure venue. Mon baptême de Neptune était d’un goût douteux mais il ne faut pas que j’oublie que je ne suis plus que le jouet d’un barbare. Réponds le captif en le transperçant de son regard bleu.

- Ouais, tu es mon jouet, tu es à moi, tu m’appartiens ! Grogne le prédateur en l’agrippant à la gorge.

- Non, je ne suis pas ta propriété et ne le serai jamais. Tu peux disposer de mon trou et de ma bite à ta guise puisque je suis ton prisonnier mais pour le reste, tu peux toujours te brosser.

- Bla-bla, bla-bla. Tout ce que je sais, c’est qu’il t’en cuira si tu continues de coucher avec d’autres hommes. Gronde l’athlétique métis en broyant sa belle proie dans ses bras d’acier.

- Tu es décidément bien possessif, Odon. Tu dois quand même m’aimer un peu pour être si jaloux ? Ronronne le garçon blond en esquissant un sourire moqueur.

- Non ! Je ne t’aime comme pas comme tu le souhaiterais mais je considère que tu as toutes les qualités requises pour me servir d’esclave sexuel. Tu ne vaux plus rien en tant qu’otage mais tu peux me servir autrement. Je te baiserai pour me dégorger les burnes et tu soigneras ma blessure. Ma convalescence sera longue parce que tu m’as salement amoché avec ton coup de sabre. Grommelle le Bâtard Rouge.

- Pour me faire pardonner je te soignerai, Odon. Mais n’oublie pas que c’est toi qui m’as blessé en premier, et cela délibérément. Ma blessure est moins grave que la tienne mais elle a aussi besoin de soins. Et moi, qui me soignera ?

- Moi, je te soignerai. Murmure le farouche pirate en le fixant dans les yeux.

Leurs têtes inclinées l’une vers l’autre, les deux hommes, avec des gestes précautionneux, entreprennent mutuellement de laver et de panser leurs blessures avec de la charpie propre. Après cela, Odon offre ses accras à son amant affamé qui les dévore gloutonnement sans même prendre le temps de respirer. Il avait si faim.

Il est à présent vêtu d’élégantes cotonnades car Odon refuse catégoriquement qu’il continue de se déguiser en matelot… et surtout de copiner avec l’équipage. Les jours passent et parfois il s’ennuie.

Par une nuit étoilée, acrobatiquement suspendu à une échelle de corde au-dessus de l’étrave, François contemple la figure de proue de la Bloody Mary. Il caresse sa joue de bois tiède.

Volant au-dessus de la houle fluorescente, la figure de proue de taille humaine, tend ses bras vers l’espace dans un geste d’appel pathétique. Il semblerait qu’elle veuille rejoindre les étoiles. Un drapé léger révèle ses seins altiers. Son visage aux traits africains est d’une implacable beauté. Sa chevelure savamment tressée forme une lourde parure qui épouse la ligne de son dos. La superbe statue cambrée emporte le navire guerrier dans son élan irrésistible. François est fasciné par tant de magie et c’est à regret qu’il abandonne sa périlleuse posture pour reprendre pied sur le pont.

- Elle est belle n’est-ce pas ? Dit une voix derrière lui.

- Oui elle est très belle et on la croirait vivante. Répond le garçon encore dans son rêve.

- Elle est vivante, tout du moins dans mon cœur. Cette statue de bois de fer est le fidèle portrait de Lady Mary, ma mère. Autant dans mes batailles que dans mes voyages, elle me guide et me protège. Lui apprend Odon qui vient de poser les mains sur ses épaules.

- Ta mère était une lady anglaise ?

- Bien sûr que non, mais après la mort de ses parents, esclaves noirs qui furent tués lors de la répression par les Anglais d’une révolte de Marrons, elle fut recueillie par une aristocrate anglaise propriétaire d’une grande plantation de canne à sucre sur l’île de la Jamaïque. Grace à cette femme charitable qui était veuve, ma mère a reçu une éducation parfaite et comme elle était belle, charmante et cultivée, on la surnomma tout d’abord la Petite Lady Mary. On l’appela ensuite Lady Mary la Rouge quand on s’aperçut qu’elle maniait l’épée, le mousquet et le pistolet aussi bien qu’un homme de guerre et qu’elle expédiait ad patres tous ceux qui osaient menacer sa protectrice. C’étaient des temps très agités. Lui explique le métis.

- Comment cette guerrière a-t-elle pu rencontrer ton père puisqu’elle était anglaise ? S’étonne le fils du Gouverneur.

- Mon père était un grand voyageur qui avait des amis dans toutes les nations. Il n’avait pas l’esprit étroit de la plupart de ses compatriotes. Lady Mabyte, la propriétaire de ma mère, était l’une de ses grandes amies. Mon père, le Comte de Dutonnerre tomba éperdument amoureux de Mary quand il la rencontra lors d’une de ses visites à la Jamaïque. Leur amour fut réciproque. Il l’épousa et en fit sa comtesse. C’est pourquoi je suis un enfant de l’amour ainsi qu’un Comte français mulâtre.

- Ton père a donc acheté Mary pour pouvoir l’épouser ?

- Non, Lady Mabyte l’avait affranchie et confortablement dotée auparavant. Cette anglaise avait un grand cœur. C’est d’ailleurs chez elle que je me suis réfugié quand j’étais traqué par ton père.

- Tu as été traqué par mon père après ton évasion de la prison ?

- Ouais, il a lancé à ma poursuite sa meute de tueurs et ma tête a été mise à prix. Sans le secours de Lady Mabyte je n’aurais jamais pu rassembler mes fidèles et rejoindre L’Albatros qui était au mouillage dans une crique secrète. Gronde le métis, des éclairs dans les yeux.

- L’Albatros ?

- L’Albatros était la frégate personnelle de mon père. Architecte naval, il a conçu entièrement le navire qui est le plus rapide de son temps grâce à son profilage de coque et à son gréement particulier. C’est sur ce bateau que j’ai appris à naviguer et à manœuvrer sous les ordres de mon père. Ma mère quant à elle, adorait être à la barre, surtout par gros temps. J’ai eu une enfance merveilleuse et mes parents étaient des êtres extraordinaires. J’ai fait de grands voyages avec eux.

- Qu’est devenu ce navire nommé L’Albatros? S’intéresse François que cette histoire enchante.

- Il est sous tes pieds. La Bloody Mary n’est autre que L’Albatros recaréné et armé de 40 canons d’un métal particulier. Canons de très longue portée conçus et fondus par un armurier Suédois qui était un ami de mon père. Ta curiosité est-elle satisfaite ?

- Oh oui ! J’aurais encore mille questions à te poser mais tout d’un coup j’ai très envie de toi !

- Envie de moi ? Qu’est-ce que tu veux dire ?

- J’ai envie de te baiser. Là, maintenant sur cette balustrade. Tu m’apparais soudain si diffèrent, si romantique, que ça m’excite furieusement ! Je veux te baiser !!!

- Pas question ! Je suis le mâle et tu es ma femelle, ça ne changera pas !!!

- Pourquoi ça ? Sur la plage je t’ai bien planté à fond et ça n’avait pas l’air de trop te déplaire ! Dis-moi le contraire !!! S’amuse François en saisissant le Bâtard Rouge par les épaules.

- Lâche-moi où j’appelle mes hommes !!! Rugit le pirate.

- Vas-y, crie au secours comme une petite gonzesse ! De toute façon je suis plus fort que toi. Tu es encore trop affaibli par ta blessure pour pouvoir me résister ! Triomphe le garçon blond en dépoitraillant le métis renversé sur le bastingage.

- Salaud !!!

- C’est ça, cause toujours, je vais te baiser comme une salope ! Tu ne mérites pas mieux !!! Ricane François avant de dévorer à pleines dents la poitrine bombée de sa proie.

Le Bâtard Rouge pousse un soupir résigné et s’abandonne à l’étreinte de son amant déchaîné. Un petit sourire ourle ses lèvres tandis que ce dernier baisse son pantalon. Il ne résiste pas quand des mains brutales le retournent pour le projeter sur la balustrade sur laquelle il s’accoude. Face à l’Océan, il serre les dents alors que l’énorme braquemart de son agresseur cherche son trou.

L’empalement est douloureux car Odon est loin d’avoir l’entrainement de François et il ne peut retenir un cri sonore. Silencieuse, une ombre furtive se glisse subrepticement entre le bastingage et son ventre. Une bouche vorace engloutit sa queue turgescente pour l’aspirer presqu’entière.

Toujours en quête de jus d’homme, le mousse Piccolo a trouvé un gros biberon qu’il tête à présent goulûment en se suspendant, de tout son poids, aux robustes couilles de son capitaine.

Odon, sévèrement emboité et vidangé simultanément, voudrait faire durer l’instant en retardant le coït mais il doit rapidement rendre les armes et se laisser sombrer dans un orgasme vertigineux qui lui coupe les jambes.

- Est-ce que je pleux avlaler vlotre splerme, mlon clapitaine ? Questionne poliment Piccolo la bouche pleine de sa chaude substance d’homme.

- Ouais petite salope, gave-toi, avale tout mon jus !!! Consent l’invincible pirate qui flageole sur ses jambes.

- Ne t’inquiète pas Piccolo, je n’ai pas encore joui et ton capitaine a encore de bonnes réserves ! Il va te redonner une bonne goulée de son lait. Rajoute le gentil François en continuant de ramoner sauvagement le cul de l’homme vaincu.

Combien de temps la Lune assista-t-elle à ce viol à demi consenti ? Nul ne saurait le dire mais quand le Bâtard Rouge tomba sur les genoux, il avait crié grâce depuis bien longtemps.

- Rejoins-moi dans la cabine, j’ai hâte que nous reprenions cette petite conversation. Se contente de dire son violeur avant de s’éloigner sur le pont en se rebraguettant.

Piccolo, quant à lui, se glisse dans la nuit, à la recherche d’un autre membre viril bien juteux. Précédée de sa magique figure de proue, la Bloody Mary trace son sillage sous le firmament étoilé.

Dans son ravissant boudoir ornementé de peintures exquises, la Baronne de La Chambraère, épouse du gouverneur, a invité le Marquis de La Chevillette à prendre le thé. Dans un cliquetis d’argenterie et de porcelaine de Chine, les deux aristocrates échangent d’aimables propos.

- Je crains fort Marquise que votre fils François ne soit en grand danger lors que votre époux refuse de payer sa rançon.

- Marquise ? Vous êtes galant homme, Marquis, mais vous savez bien que je ne suis plus la Marquise de La Foufolle depuis que j’ai épousé le Baron de La Chambraère. Je ne suis plus que baronne.

- Si fait Madame, mais pour moi vous serez toujours la Marquise Angélique de La Foufolle. Il suffirait que le Gouverneur trépasse pour que vous recouvriez ce titre que vous octroya Sa Majesté le Roi Louis XV. Est-il vrai que votre mari souffre du cœur ?

- Cela est vrai Marquis. Phileas a le cœur fragile et la moindre grande émotion peut lui être fatale mais il a un excellent médecin qui s’évertue à bien le soigner. Répond la douce Angélique en poussant un soupir déchirant.

C’est ce moment précis que choisit Phileas de La Chambraère pour entrer en trombe dans le salon. Ignorant superbement la présence du Marquis Amiral, il s’adresse à son épouse :

- N’avez-vous point reçu ce jour une chose qui m’était destinée, Ma mie ?

- Si fait, Monsieur mon mari. Il me fut remis ce matin, de fort élégante manière, un coffre magnifique qui vous est destiné. Il doit s’agir du présent de l’un de vos obligés. Il est véritablement somptueux !

- Ou est-il ? Il me tarde de le voir ! Je vous prie d’ordonner à vos gens de le porter dans mon cabinet ! S’impatiente Phileas, la bave aux lèvres et l’œil brillant de convoitise.

- Je le fais sans tarder. Répond la Baronne en agitant une clochette d’argent.

Des domestiques en livrée brocardée portent un coffre richement orné de bronzes dorés tarabiscotés dans le bureau du gouverneur. Tout le monde se précipite. Curieux comme des chats, la Baronne et le Marquis sont déjà là. Les yeux du Gouverneur flamboient d’avidité. Il rompt le cachet de cire et ouvre le coffre. Combien de sequins d’or va-t-il encore découvrir ?

Une horrifiante odeur de mort, de putréfaction, sucrée autant que nauséeuse envahit alors la salle. Cette immonde odeur donne l’occasion au Marquis Jean de La Chevillette d’ouvrir le clapet du pommeau de sa canne pour plonger son nez dans un entêtant parfum d’Arabie.

Dans le coffre précieux, artistiquement disposées sur un lit de feuillage et de fleurs, il y a quatre têtes tranchées verdâtres. Les lèvres retroussées par un rictus de terreur indicible, les quatre complices parjures du gouverneur le fixent de leurs yeux vitreux.

Foudroyé par cette vision d’horreur, Phileas de La Chambraère, Gouverneur Général des Antilles Françaises, émet un petit couinement plaintif en pissant dans sa culotte de soie puis porte les deux mains à son cœur en glapissant :

- Vite mon médecin !!! Mon cœur va se rompre, il me faut instamment une potion !!!

Le cœur affolé se rompt en effet et le gros homme tombe raide mort sur le parquet soigneusement ciré. Les yeux grands ouverts et la bouche béante.

Du bout de sa canne l’Amiral constate le décès puis se tourne vers la Baronne qui réajustait, avec d’infinies précautions, un faux pli de sa robe.

- Ne croyez-vous pas, Madame, qu’il serait navrant de laisser froidir votre excellent thé de Ceylan ? Ce serait un crime de laisser se perdre un tel nectar !

- Vous avez raison Amiral, il me tarde de boire une autre tasse de ce délicieux breuvage. Mais j’y pense soudain ! Vous ai-je fait goûter mes petits biscuits à la cannelle ? S’inquiète l’épouse de feu le Gouverneur en accompagnant son amant vers le ravissant salon chinois.

La vengeance du Bâtard Rouge vient de s’accomplir. Le méchant Gouverneur a été expédié aux Enfers en compagnie de ses sinistres acolytes. Amen.

Grâce aux bons soins que lui prodigue François notre séduisant pirate reprend rapidement des forces et c’est justement à cause de cette vigueur recouvrée qu’il devient difficultueux de le baiser. Tout du moins aussi souvent que son amant le souhaiterait. Certes il s’abandonne parfois au désir conquérant autant que pénétrant du garçon blond mais c’est toujours avec une sorte de réticence.

Cette réticence navre François car jamais le Bâtard Rouge n’est aussi beau que lorsqu’il lui fait l’amour. Tous les muscles de son corps se nouent et se dénouent alors en une houle fascinante sous l’ambre de sa peau luisante de sueur. Ses lèvres pulpeuses s’entrouvrent sur l’émail éclatant de ses dents et ses yeux deviennent des gouffres insondables. Quand survient l’orgasme, il entraîne son amant dans des abysses de volupté.

Après ces rares moments d’abandon pourtant prodigieux, Odon se referme comme une huître, ombrageux et grognon.

- Mais enfin, Odon, qu’est-ce qui te tourmente ? Que se passe-t-il ? Demande un jour François alors que le beau métis se recroqueville sur le bord du lit après l’acte d’amour.

- Il se passe que ne veux pas devenir dépendant du plaisir que tu me donnes lorsque tu m’enfiles avec ta grosse queue toujours dure. Je me sens devenir faible et vulnérable quand tu me défonces comme un sauvage. Je crois que je commence à beaucoup trop aimer ça. Grommelle Odon.

- Mais enfin c’est stupide de penser cela. Tu ne seras jamais faible et vulnérable à cause de moi. Je veux au contraire t’apprendre l’amour qui te rendra encore plus fort. S’exclame François en l’étreignant avec tendresse.

- Je ne veux pas de tes leçons d’amour, je suis bien comme je suis. Rétorque froidement le Bâtard Rouge en se renfrognant encore davantage.

- Message bien reçu. Soupire François.

Il doit se résigner car il sait que l’homme sauvage dont il est amoureux est en proie à de multiples démons. Il sait que son âme autant que son corps furent cruellement blessés alors qu’il n’était qu’un tout jeune homme empli de rêves et d’illusions. Le mystère qui l’enveloppe est comme une carapace dans laquelle il demeurera probablement pour toujours.

- Nous devons nous ravitailler en eau et en vivres. Nous allons donc descendre vers le Sud pour rejoindre les iles Grenadines. J’ai là-bas des amis boucaniers qui nous accueilleront de façon très hospitalière. Dit le Bâtard Rouge pour changer de sujet.

Quelques jours après, la Bloody Mary mouille l’ancre dans une baie frangée de grandes plages ombrées de cocotiers. François ignore le nom de la petite île accueillante mais il distingue de nombreuses cabanes sur le flanc de ses collines.

Quand l’étrave de la chaloupe se plante dans le sable de la plage. Des individus souriants se rassemblent devant les visiteurs. Alentours il y a des petits buchers sur lesquels on fume de la viande et du poisson disposés sur de hautes claies.

Se détachant du groupe venu les accueillir, un homme et une femme s’avancent. L’homme est torse nu et la femme vêtue d’une longue robe arachnéenne que la brise plaque sur ses courbes exquises. Avec leurs larges épaules, leurs membres fins mais solidement musclés, ils forment un couple magnifique.

Ils sont blonds tous les deux et leurs crinières, décolorées par le sel de la mer et le Soleil sont méchées d’argent brillant.

Dans un élan fluide, la femme noue ses bras autour du cou du Bâtard Rouge pour l’embrasser à pleine bouche. Odon répond avec ardeur à son baiser. L’homme quant à lui a posé le bras sur ses épaules pour les serrer amicalement.

Quelque peu intrigué, François assiste sans mot dire à ces chaleureuses retrouvailles.

- François, je te présente Castoro et Polluxa, ils sont frères jumeaux et me sont tous deux très chers. Lui annonce le pirate après ces quelques longues minutes d’effusions.

- Ben je… je suis très… Répond avec beaucoup d’à-propos le fils du Gouverneur.

- Et voici mon fils Odran. Rajoute le mulâtre en désignant un bambin d’environ quatre ans qui ramasse des coquillages sur la plage en gazouillant.

L’enfant est blond et sa peau toute dorée. Il lève de grands yeux bleu turquoise vers François et lui offre un grand sourire encadré de fossettes. Un vertige s’empare du jeune homme quand il reconnaît le sourire envoutant d’Odon.

Ce dernier se penche vers son fils et s’empare de lui comme on cueille une fleur pour le serrer contre sa poitrine. Le visage du Bâtard Rouge rayonne de bonheur. La dureté de ses traits s’efface et il redevient brusquement un jeune homme tendre et insouciant. Une blâmable jalousie mord le cœur de François. Jamais son amant ne lui a adressé un regard moitié aussi doux que celui qu’il accorde à cet enfant. Il n’est donc rien pour Odon qu’une simple fantaisie ?

Après avoir salué joyeusement les boucaniers accueillants et confié le petit Odran a une grosse nounou possessive, le Bâtard Rouge emboîte le pas des jumeaux en invitant François à les suivre.

La cabane de Castoro et Polluxa est non loin de là. Surmontée de cocotiers bruissants, elle les accueille dans son sobre confort. Les volets sont clos et ils se désaltèrent, dans la fraîche pénombre d’un lait de coco mêlé d’un rhum parfumé.

Toujours silencieux et en retrait, le fils du Gouverneur constate que sur cette île paradisiaque on ne s’embarrasse pas de formalités excessives. La très belle Polluxa déboutonne la chemise écarlate d’Odon en ronronnant :

- Fais-moi un enfant aussi beau qu’Odran. Je veux encore être pleine de toi.

- Puisque tu le souhaites, Castoro et moi allons t’engrosser, ma belle chérie. N’est-ce pas Castoro ? Réponds simplement le Bâtard Rouge en achevant de se déshabiller.

- Oui Odon, je le veux moi aussi. Confirme le superbe homme blond en dénudant de longues jambes parfaitement galbées.

Assis sur un siège rustique, son gobelet à la main, François assiste à une scène des plus troublantes. Aussi belle qu’une Vénus de Botticelli, la femme à la crinière d’or se couche sur le grand lit et attend la saillie en ondulant comme une panthère qui appelle son mâle.

S’appuyant sur ses bras tendus, Odon la survole comme un homme nuage. Inclinant le col, il l’embrasse avec passion. Son grand chibre cherche la corolle de sa partenaire pour s’y enfoncer avec délicatesse.

Alors, tels les tentacules d’une pieuvre, les longs membres de la femme s’enroulent autour de ses hanches et de son torse. Elle se plaque à la poitrine du puissant mâle avec autant de force que si elle voulait l’étouffer. Derrière l’étalon en rut, le frère s’est agenouillé pour enfoncer son visage entre ses petites fesses musculeuses. Sa langue doit être experte car elle arrache des gémissements sourds à Odon qui se cabre tout entier, parcouru de frissons.

Après ce qui semble être une éternité pour François, le boucanier se redresse. Son sexe est comme celui d’un faune. Long et courbe, il doit être dur comme du bois. Se plaçant à l’aplomb du fessier du métis en pleine action, il dit :

- Je vais t’enfiler, Odon. Ainsi nos spermes se mêleront pour féconder Polluxa. Es-tu prêt ?

- Ouais, je suis prêt ! Enfonce-toi en moi autant que tu le peux, je veux sentir ta queue au fond de mes boyaux ! Clame l’athlète mulâtre d’une voix rauque d’excitation.

- Oh mes hommes ! Je vois déjà combien notre enfant sera beau !!! Rugit la femme qui en est déjà à son cinquième orgasme.

C’est en poussant un cri quasi bestial que Castoro introduit, jusqu’à la garde, son phallus veineux dans l’étroite rosette du Bâtard Rouge qui s’accorde un bref instant d’immobilité pour reprendre son souffle après la rude pénétration.

Nullement gêné par le poids de l’homme plaqué à son dos et qui le baise pourtant maintenant avec acharnement en lui étreignant fermement le torse, Odon reprend la cadence et continue de saillir la femme feulante en souples et lents coups de reins.

Sous sa peau brune, huilée de de sueur, les muscles roulent comme ceux d’un fauve qui saille la femelle conquise.

Les oreilles bourdonnantes, François navigue dans la stupeur mais c’est quand l’homme qu’il aime tourne le visage vers lui que son cœur se déchire.

Les muscles sculptés par un orgasme interminable, Odon lâche à profusion sa semence dans les chaudes profondeurs de la femme. Dans une provocation obscène il plante son regard dans celui de François pour qu’il puisse y lire l’ampleur de son plaisir. Sans le quitter des yeux il rugit à plein poumons quand l’homme qui le défonce décharge dans ses tripes.

S’en est trop !!! Glacé d’humiliation et le cœur broyé par la jalousie, François se lève comme un automate pour se diriger vers la porte. Dehors c’est un autre monde. Une brise caresse son front en sueur. Là-bas, il y a des barques couchées sur le sable.

Bras et jambes emmêlées, Odon, Polluxa et Castoro se laissent sombrer dans un sommeil réparateur quand soudain on tambourine furieusement à la porte de la cabane. Il s’agit du premier maitre Pinovan qui semble affolé.

- Capitaine ! Le prisonnier s’est échappé ! Il a réussi à hisser seul la voile d’une petite yole et il file à présent vers le large.

C’est en poussant un rugissement terrible que le Bâtard Rouge bondit hors de la couche et se rue sur la plage. Suivi de Castoro, il court vers les fines barques à mat groupées sur le rivage. Rameutés par les matelots pirates, les boucaniers ont déjà mis quelques yoles à l’eau pour rattraper le fuyard.

- Embarquons dans mon bateau, c’est le plus rapide. Crie Castoro en désignant une grande barque qui tangue impatiemment sur les flots.

En quelques brasses les deux hommes rejoignent l’embarcation et se hissent à bord à la force des bras. Six hommes sont déjà à bord et hissent la voile. Tous amis et coéquipiers de Castorio, ce sont de jeunes et solides gaillards à la peau brûlée par le Soleil. Castoro saisit la pagaie et la yole s’élance à la poursuite de la voile carrée qui s’éloigne rapidement du rivage sous la poussée d’un fort Alizé.

- Il se débrouille bien ton ami et il a déjà pris une bonne avance sur nous ! Il est marin ? Lance Castoro à l’adresse d’Odon.

- Non, mais c’est une tête brûlée et il est costaud ! Lui répond celui-ci, avec une colère contenue.

- Qui est-ce ?

- C’est le fils du Gouverneur des Antilles.

- Quoi ??? C’est ton otage !!? Toutes les Caraïbes savent comment tu as provoqué la mort comique du Gouverneur français en lui envoyant les têtes de ses compères. Ce mec sait-il que son père est mort ?

- Non, il n’est pas nécessaire qu’il le sache trop tôt. Répond laconiquement le Bâtard Rouge.

Les yeux plissés, il fixe la yole qui trace son sillage au loin. Les deux hommes restent silencieux un moment. Dans la précipitation, ils n’ont pris que le temps de se ceindre la taille d’un pagne. Malgré sa préoccupation, Odon ne peut s’empêcher d’admirer le corps doré de Castoro dont les longs muscles se meuvent sous des reflets de Soleil. Le regard des deux garçons se croisent tandis qu’un rictus plutôt qu’un sourire découvre leurs dents de loup. Sous leurs pagnes mouillés, de puissantes érections révèlent leur désir mutuel. Il est certain que plus tard ils s’isoleront dans les collines pour se jeter l’un sur l’autre.

- Il navigue au plus près du vent mais il prend beaucoup trop de gîte. Il a beau se mettre en rappel, seul il n’y arrivera pas ! Crie l’un des hommes de l’équipage.

- Pourtant il file bon train et l’Alizé se renforce. Il faut le rattraper avant la nuit sinon nous le perdrons. Rajoute un autre homme.

Le Bâtard Rouge fulmine mais peu à peu, un sourire étire ses lèvres. Ce François est décidément un jouet fabuleux. Serait-il aussi imprévisible et cabochard que lui ? Avec ses petits airs d’ange il lui donne décidément du fil à retordre mais il ne sera pas dit que le Comte Odon de Dutonnerre ne soit pas parvenu à imposer sa loi à un rebelle.

- Les gars, il n’y a plus qu’une seule chose à faire. Positionnez les rames au travers et mettez-vous tous en rappel. La gite sera très forte parce que je vais serrer le vent au plus près. Annonce Castoro.

Y compris Odon, tous les hommes bloquent les rames sur le bastingage pour se suspendrent au-dessus de l’eau en dehors du bateau. Pesant de tout leur poids, ils contrebalancent l’inclinaison de la yole qui bondit d’un coup sur les vagues comme s’il s’agissait pour elle de remporter une régate.

Distançant les autres embarcations lancées à la poursuite du fuyard, elle se rapproche à présent rapidement de lui. Afin de maintenir la distance, le voleur de bateau se démène comme un beau diable. Puis, se voyant rattrapé, change soudainement de cap.

- Il se dirige maintenant droit sur les récifs !!! Ce mec est un fou ! Pourquoi fait-il cela ? Hurle un homme accroché à son bois.

- Pour tenter de nous échapper, pardi !!! Il sait bien que nous ne le poursuivrons jamais dans cet enfer. Se désole Castoro.

Partagé entre la rage froide et le chagrin qui brouille ses yeux, François n’hésite pas. Mâchoires bloquées, il pique direct vers les sinistres récifs panachés d’écume. Il ne connaît pas les fonds et la marée est toujours descendante, créant des courants pervers. Mais s’il parvient à franchir la barrière de récifs il pourra distancer ses poursuivants. Il n’a cure du danger, il veut s’éloigner au plus vite de cet amant félon qui s’acharne à lui briser le cœur.

Il passe avec succès entre deux rochers grondants de vagues méchantes mais aussitôt après la coque de la yole se déchire sur un récif affleurant qui se dissimulait sournoisement. La barque se cabre sous le choc puis se couche sur tribord en brisant son mât sur le rocher. Son pilote est violemment projeté dans l’eau et coule comme un caillou. Les yeux grands ouverts il distingue parfaitement la yole éventrée qui se disloque au-dessus de lui ainsi que de longues algues qui ondulent comme des crinières de chevaux. Sous lui c’est un vaste puit noir qui semble l’attendre.

Il s’étonne de ne pas avoir peur comme s’il acceptait déjà sa mort. Il entend des sons étranges qu’il ne connaissait pas et comprend que le monde marin n’est pas un monde silencieux. Après avoir été ballotté dans tous les sens par le ressac sous-marin, il gesticule pour remonter à la surface.

Comme après un voyage vers la lumière qui lui semble interminable, il émerge en crachant et en hoquetant. En un éclair il prend conscience de sa situation. Il ne s’en sortira pas. Il va se noyer.

Les récifs que les vagues submergent par assauts irréguliers sont trop lisses et glissants pour s’y accrocher. Cette idiote de yole brisée est devenue un danger. Elle tournoie sur elle-même et menace à tout moment de le broyer contre un rocher. Il doit s’en écarter.

Agitant bras et jambes, le naufragé se maintient à la surface comme il le peut. Eparses autour de lui il distingue les rames. Il parvient à en saisir deux et passe ses bras par-dessus. La bouée est précaire mais le rassure pour l’instant. À deux reprises les vagues le projettent sur des récifs pour le meurtrir tout entier. Des tourbillons d’écume l’entourent.

Abattant leur voile pour se saisir des rames, les boucaniers maintiennent leurs embarcations à distance des récifs menaçants. Odon plonge et nage vers l’épave qui s’enfonce dans les eaux mouvantes. Il sait que François est un piètre nageur. Il est connu que les marins ne savent pas nager et coulent comme de pierres au fond des océans. Mais lui comme beaucoup de natifs des Caraïbes nage comme un triton. Quatre solides gaillards l’on rejoint et nagent à ses côtés. Assister le Bâtard Rouge est pour eux un grand honneur.

Péniblement, ils rejoignent l’homme épuisé qui s’accroche désespérément à ses bouts de bois. Mais celui-ci, reconnaissant Odon qui nage vers lui, se met à hurler :

- Ne m’approche pas !!! Vous tous, autant que vous êtes, ne m’approchez pas !!!

Autour de lui, sans se concerter, les nageurs savent ce qu’il faut faire. L’un d’eux se coule sous l’eau pour ressurgir devant François et l’assommer d’un grand coup de poing dans la mâchoire. Il saisit par les cheveux le garçon qui sombre et le remorque ainsi vers les eaux calmes. D’autres nageurs prendront le relais du sauveteur et ramèneront le fuyard inconscient – toujours en le tirant par les cheveux – vers la petite flottille. On hisse le corps inerte sur une autre yole que celle de Castoro.

Mais cela n’a pas grande importance, l’essentiel pour Odon c’est que François soit sauvé. Rieurs, les hommes hissent la voile tandis que le bâtard Rouge s’assied auprès de Castoro qui est à la barre. La nuit tombe mais sur la plage, les boucaniers ont allumé un grand feu pour guider le retour des yoles.

- Dis-moi Odon, qu’est-ce que ce garçon représente pour toi ? Je suis comme ton frère, tu peux tout me dire. Interroge l’homme blond.

- Je l’ai dans la peau.

- Comment ça ? Tu n’es pourtant pas du genre à t’amouracher facilement. Tu aimes ce mec ?

- Je ne l’aime pas mais je veux qu’il soit à moi. Rien qu’à moi !

- Ben, c’est du pareil au même, ça veut dire que tu l’aimes !

- Non !

- Comment ça, non ? S’étonne Castoro.

- Je ne peux pas aimer un homme, ce n’est pas possible ! Surtout si cet homme est le fils de mon pire ennemi.

- Pour moi ce n’est pas incompatible. C’est peut-être un peu cornélien ton histoire mais on a vu pire. Puis de toute façon ce n’est pas parce que tu aimes un homme que tu es un pédé. Pas vrai ?

- Si c’est toi qui le dis. Mais de toute façon je ne sais pas aimer et je ne n’apporte que le malheur autour de moi depuis que je suis pirate. Gronde le Bâtard Rouge

- Ça c’est faux ! Tu as fait une très bonne action en nous débarrassant du Gouverneur et de ces quatre crapules de planteurs qui saignaient notre belle Martinique. Au fait, comment as-tu fait pour zigouiller ces gredins ?

- Oh, ce fut facile. L’amiral de la Chevillette est un joueur invétéré. Il s’est ruiné au jeu et il est couvert de dettes. Par l’intermédiaire de son émissaire je lui ai proposé un marché : Je payais ses dettes et de surcroît je le renflouais d’une coquette somme d’argent.

- Mais à quelle condition ? Ricane Castoro qui commence à s’amuser.

- À la condition qu’il me livre les quatre ordures qui avaient essayé de me déposséder et de m’éliminer en tuant également ma mère. Pour ce faire, il lui suffisait de les réunir à l’auberge du Petit Galant. C’est une auberge située à la périphérie de Fort Royal. Elle est réputée pour sa bonne table et ses hôtesses à la cuisse légère.

- Les réunir tous les quatre, mais sous quel prétexte ? S’intéresse Castoro.

- Plus c’est gros, mieux ça passe. L’amiral voulait prendre langue avec eux sous le prétexte qu’il avait besoin de leur aide. Il prétendait savoir où le Gouverneur planquait son or mais il avait besoin de leur collaboration pour s’emparer du magot. N’étaient-ils pas des intimes de Phileas de la Chambraère ? Ces charognards se sont précipités pour comploter tous ensemble contre leur ancien complice devenu richissime par ses multiples forfaits.

- Ton histoire commence à m’intéresser ! Glousse l’ami du Bâtard Rouge.

- Les quatre crapules sont venues avec leurs bataillons de gardes du corps. Depuis quatre ans ils redoutaient, à juste titre, ma vengeance. Mais mes lieutenants avaient prévu le coup et leurs troupes étaient en surnombre. À part l’Amiral qui fut courtoisement évacué, tout le monde fut passé au fil de l’épée : Gardes du corps, cuisiniers, servantes, valets, putains, l’aubergiste et sa famille. Précise froidement le capitaine pirate.

- Mais c’était un vrai massacre !!! S’étrangle Castoro.

- N’exagérons pas, il ne s’agissait que de dégâts collatéraux. Je ne voulais pas de témoins. Il fut mis le feu à l’auberge et on ne retrouvera que des ossements anonymes. Quant aux quatre complices du Gouverneur, j’avais donné des instructions pour que leur mort soit lente et inconfortable. Mes instructions furent suivies à la lettre. Que veux-tu savoir d’autre, mon cher Castoro ?

- Comment l’amiral a-t-il réagi à tout cela ?

- De la Chevillette n’est pas un méchant homme. J’irais jusqu’à dire que c’est un sentimental. Il est resté trois jours alité en proie à une forte fièvre avant de pouvoir aller prendre le thé avec la ravissante épouse du gouverneur. C’est lui qui, d’une façon anonyme, a fait livrer le coffre contenant les quatre têtes. Il était grand temps d’ailleurs parce qu’avec cette chaleur, un jour de plus et le gouverneur aurait été bien incapable de reconnaître ses copains trop faisandés.

Castoro éclate de rire.

- Tu es machiavélique, Odon !!!

- Tu exagères beaucoup comme d’habitude, Castoro. Je n’ai fait que rendre justice et j’ai même accordé au Gouverneur une mort brève. N’est-ce pas faire preuve de mansuétude ?

- Et que devient la mère de François dans cette histoire ? Est-elle au courant de tes manigances ?

- Pas le moins du monde. Angélique, la mère de François est une belle femme qui est très loin de paraître son âge réel mais c’est une nymphomane sans cœur. Elle a autant d’instinct maternel qu’une femelle requin prête à dévorer la progéniture sortie de son ventre. Je me demande souvent comment elle a pu pondre un garçon aussi gentil que lui. Soupire Odon.

- Tu vois bien que tu l’aimes ce garçon ! Ta façon de parler de lui est très révélatrice. Aller, avoue que tu l’aimes. Insiste Castoro en donnant un coup d’épaule à son compère.

- Je…

- Dommage que ce soit la nuit parce que je te verrais rougir comme une pivoine et un métis qui rougit, c’est très mignon. Taquine l’homme blond.

- Tu fais chier, mec ! Grogne Odon en détournant pudiquement la tête.

Après un petit moment de silence, Castoro revient à la charge :

- Qu’est-ce que tu vas faire de ton prisonnier maintenant que tu as expédié son paternel en Enfer ?

- Je vais lui rendre sa liberté.

- Et quand vas-tu ouvrir la cage de ton bel oiseau ? Interroge Castoro redevenu sérieux.

- J’ai fait un courrier pour informer l’Amiral de la Chevillette de ma décision. Il est convenu que dans quelques jours un navire viendra chercher François pour le ramener à Fort Royal. L’amiral a déjà dû avertir sa maîtresse Angélique de La Foufolle. Intrigante comme elle est, elle fera le nécessaire à la Cour de France pour que son fils succède à son père. C’est certain.

- Est-ce vraiment une bonne décision de ta part de libérer ton prisonnier sans conditions ? S’inquiète Castoro.

- Je n’en sais foutrement rien mais je suis fatigué de ce petit jeu. Ne serait-il pas plus simple que je fasse escale un moment dans cette baie ? Toi et ta sœur Polluxa m’aideriez à oublier ce garçon qui me complique la vie depuis trop longtemps. Répond Odon sur un ton rêveur.

- C’est une merveilleuse idée et foi de Castoro, je m’engage à occuper tes heures de loisirs ! S’enthousiasme soudain le beau blond musclé.

Pour apporter crédit à ses paroles, Castoro, toujours tenant la barre, incline la tête pour mordiller les seins durs du Bâtard Rouge. Ce dernier gonfle la poitrine pour mieux s’offrir à la gourmandise de son ardent ami.

Sous le pagne mouillé, sa queue devient énorme. Sans se préoccuper du regard très indiscret de ses compagnons d’équipage, Castoro se penche encore davantage pour écarter l’étoffe et avaler le sexe turgescent qui coulait déjà abondamment de liqueur incolore.

Sous la sombre voûte céleste, percée de l’éclat froid des étoiles indifférentes, Odon pousse un long râle apaisé en déchargeant dans la bouche de son ami d’enfance.

Quand les quilles des barques labourent enfin le sable de la plage, de nombreux hommes viennent à la rescousse car la mer est basse et qu’il faut tirer et pousser les yoles pour les ramener sur le cordon littoral.

François à moitié nu et tout couvert d’écorchures se tient droit et immobile au milieu de l’agitation. Il a les bras liés dans le dos et les chevilles entravées.

- Chef capitaine, nous avons été obligés d’attacher ton prisonnier. À peine revenu à lui, il a voulu se jeter à l’eau. S’excuse un boucanier en s’adressant à Odon.

- Vous avez bien fait. D’ailleurs je vais le faire mettre aux fers. C’est le seul endroit où il se tient à peu près tranquille. Lui répond le pirate.

Tandis que les hommes rigolent, Odon s’avance vers François toujours aussi immobile qu’une statue. La lueur des torches sculpte son visage aux méplats énergiques. Il est exténué et son regard absent va au-delà de l’homme planté devant lui. Il le regarde mais ne le voit pas.

Le Bâtard Rouge renonce à lui adresser la parole et se tourne vers ses hommes.

- Enchaînez cet homme dans la chaloupe, donnez-lui une couverture, à boire et à manger. À marée haute vous le ramènerez sur la Bloody Mary. Si vous avez besoin de me parler, vous me trouverez chez Castoro chez qui je vais passer la nuit. Ordonne-t-il d’une voix neutre.

Sur ce, il tourne les talons et emboîte le pas de Castoro qui se dirige vers la jolie cabane sous les cocotiers où les attend la voluptueuse Polluxa.

Au petit matin, quand on ramène François sur la frégate, c’est pour lui le retour à la case départ comme au jeu de l’Oie. Il est cependant surpris de ne pas être traîné à fond de cale pour être mis aux fers. On le conduit dans une petite cabine qui jouxte celle du Bâtard Rouge.

Sans se poser de questions, il s’affale sur la couche, les bras en croix. Mais il n’a pas le temps de fermer les yeux que déjà la porte de la cabine s’ouvre et qu’entre Piccolo, l’œil brillant.

Le petit mousse roux porte une bassine d’eau qu’il pose sur le chevet. La mèche sur l’œil et un petit sourire sournois coincé sur les lèvres, il annonce :

- Messire François je viens laver vos blessures à l’eau douce comme me l’a ordonné le capitaine.

- Fous-moi la paix petit vampire, tu vois bien que je suis crevé. J’ai besoin de dormir. Grommelle l’homme fourbu.

Cet accueil ne décourage pas Piccolo qui entreprend de laver les écorchures de François avec un linge mouillé. Ses gestes sont doux et au bout d’un moment, débarrassé du sel qui le rongeait, l’homme pousse un soupir de soulagement et s’abandonne à ses soins.

- Il faut maintenant changer de culotte, Messire, parce que celle-ci est pleine d’algues et de sel. Exige le mousse en tiraillant sur le vêtement raide de sel.

Sans répondre, François soulève les hanches pour permettre à Piccolo de faire glisser la culotte le long de ses jambes. À présent nu comme un vers, le fils du gouverneur s’étire en baillant.

- Maintenant c’est bon Piccolo, tu m’as bien soigné, tu peux me laisser dormir. Chuinte-t-il.

- Ah non messire ! Vous avez encore plein de sable sur les roupettes ! Je dois bien finir mon travail sinon je serais puni. Argumente le mousse perfide.

Les doigts agiles Piccolo s’affairent sur les boules de l’homme couché pour les nettoyer très soigneusement. Il en résulte une érection prodigieuse, fort spectaculaire.

- Que vous avez une grande queue, Messire ! Gargouille le petit mousse en louchant sur l’obélisque.

- C’est pour mieux te tringler, mon enfant. Répond machinalement François.

Il a à peine le temps de réaliser la sottise qu’il vient de sortir qu’une bouche gourmande avale son gland pour le suçoter comme un gros bonbon. Il se cabre en feulant. Les doigts de pieds en éventail, il ne repose plus que sur la nuque et les talons.

Après toutes les tensions de la veille, son corps a besoin d’exulter. Alors il se laisse aller. Il est presque reconnaissant quand Piccolo se déshabille prestement pour sauter debout sur le lit. Le diabolique garçon l’enjambe pour placer sa rosette au-dessus de son gourdin vertical.

- Oh Messire, vous êtes bien trop gros ! Je ne pourrais jamais m’embrocher sur vous !!! Minaude le mousse en ployant les jambes pour s’enfiler comme un gant de peau.

- Tu as le fourreau bien moelleux mon petit diable. Complimente François en donnant un coup de rein qui fait hurler de bonheur son jeune cavalier.

- Oh ! Aïe ! Oh, Messire ! Vous me fendez en deux avec votre grosse corne !!! Je sens que je vais mourir !!! Chouine Piccolo de manière peu convaincante.

- Tant pis pour toi, morue !!! Vas-y, saute ma petite salope, je vais te remplir les boyaux de ma sauce piquante bien chaude ! Promet l’athlétique monture.

- Mais ma parole, je rêve !!! Je vais finir par croire que suis le tenancier d’un bordel flottant !!! Il suffit que je m’absente un instant pour que tout le monde s’encule à la queue leu-leu !!! Foutre Dieu !!! Beugle le Bâtard Rouge en surgissant dans la cabine.

La poignée de la porte arrachée encore à la main, le très cruel pirate brame de plus belle :

- Comment osez-vous baiser sur mon navire sans mon autorisation !!!

- Toi, le petit tyran, va donc faire des bébés à ta Polluxa et lâche-nous la grappe avec tes règles à deux balles ! Balance le mec blond en se croisant les doigts derrière la nuque pour mieux offrir sa poitrine à Piccolo qui lui pince sauvagement les tétons.

- Pardon, pardon, pardon, capitaine mais je vais… jouiiiiir… !!! Trompette Piccolo en projetant une impressionnante cargaison de sperme crémeux sur la poitrine et le visage de François.

Trois secondes suffisent au jeune mousse pour déguerpir, ses fringues sous le bras. Au passage, Odon lui octroie un magistral coup de pied au cul avant de se tourner vers son amant, les naseaux fumants. François quant à lui, du plat de la main, étale tranquillement le foutre du garçon qui inonde son torse. Son phallus se dresse toujours à la verticale comme un mât de cocagne.

- Avec tout ça je n’ai même pas eu le temps de jouir ! Grommèle-t-il.

- Je peux te donner un coup de main pour te soulager. Propose le Bâtard Rouge soudain radouci.

- Ça ma grande, il n’en est pas question ! Va rejoindre tes jumeaux et laisse-moi tranquille. Je préfère me branler que de te laisser me toucher. Pour moi c’est fini avec toi. Trouve toi un autre con ! Gronde le jeune homme en lui balançant un regard mauvais.

- Laisse-moi au moins t’expliquer. Quémande Odon.

- Expliquer quoi ???

- Entre Polluxa, Castoro et moi, il s’agit d’un rituel. Castoro est un homme puissant mais son sperme est stérile. Il ne peut pas avoir d’enfants. Pour féconder sa sœur il m’encule tandis que je la baise. Il a ainsi le sentiment d’être le père. Pour lui et Polluxa c’est tout ce qui importe.

- C’est vraiment tordu votre histoire. Tu aurais pu m’avertir avant vos acrobaties, cela m’aurait épargné de souffrir autant. Rouscaille François en souriant légèrement.

- Tu as raison. J’aurais dû te prévenir mais cela m’a excité de m’exhiber à toi. Je ne pensais pas que tu le prendrais aussi mal. S’excuse piteusement Odon.

- Passons pour cette fois-ci mais tu n’as pas intérêt à me refaire le coup. Tu n’es pas le seul à être exclusif mon petit Bâtard Rouge. Avertit l’homme blond.

- On pourra quand même faire une partie à trois mecs de temps à autre, n’est-ce pas ? S’inquiète Odon.

- Même des parties à dix mecs si ça te fait plaisir mais toujours avec mon accord. C’est clair ?

- Ouais, c’est très clair. Maintenant on fera comme ça. Consent le pirate avec un grand soupir de soulagement.

Nous savons tous que le Bâtard Rouge a de la suite dans les idées alors ne nous étonnons pas du regard prédateur qu’il fixe sur la colonne érigée de François.

- Alors on fait la paix ? Propose-t-il.

- Ouais, on fait la paix. Tu peux même faire joujou avec ma queue. Vas-y, la place est chaude et j’ai les couilles pleines à péter. Propose malicieusement le jeune Apollon en balançant son sexe comme un métronome.

Odon ne se le fait pas dire deux fois.

Deux jours c’est bien court pour se réconcilier, même sur un oreiller. Le Bâtard Rouge ne peut se résoudre à dire à son amant qu’un navire va bientôt venir le chercher pour le ramener à Fort-Royal. Le menton appuyé sur sa paume il contemple François endormi.

Une respiration profonde soulève à rythme régulier la poitrine du beau garçon. Un rayon de lune cisèle son visage paisible. Parfois il entrouvre les yeux pour tendre une main qu’il pose sur Odon et pousse un soupir heureux en se rendormant. Laissant Odon à sa songerie.

Odon songe qu’il est impossible pour un hors-la-loi tel que lui d’aimer un homme qui représente la loi et l’ordre établi. Qui plus est si cet homme est le fils de son pire ennemi. Aimer un mâle avec autant de force est contre nature. Il faut que cela cesse.

Odon ignore s’il se trompe dans ses réflexions mais il sait qu’il est trop tard pour lui de le savoir. Il faut que François s’éloigne de lui ou bien qu’il le tue. Le Bâtard Rouge ne doit s’accorder aucune faiblesse. Canons tonnants et sabre à la main, il devra se battre jusqu’à la fin. C’est son destin.

Puis arrive ce jour redouté, bien trop tôt venu. Étroitement enlacés sur des draps indécemment froissés et mouillés de foutre, Odon et François font la bête à deux dos quand retentit la cloche d’alarme.

- De quoi s’agit-il encore ? Questionne le Bâtard Rouge en se redressant.

- Mon capitaine, un brick français fait cap sur nous. Il fait la demande d’accostage. Il s’agirait d’un noble visiteur. Répond le premier maitre Pinovan qui vient de surgir dans la cabine.

- Allons voir de quoi il retourne. Tu viens avec moi, François ? Dit alors le magnifique pirate en s’étirant comme un chat.

- Je te suis mais je te signale que je n’avais pas encore fini de te vider les couilles et que tu ne perds rien pour attendre. Répond le beau blond en bondissant hors du lit.

Les reins ceints de minuscules pagnes de coton, les deux amants s’approchent du bastingage pour mieux voir le petit navire qui vient à la rencontre de la Bloody Mary.

- Mais c’est ma mère ! S’exclame François en désignant du doigt une élégante femme debout sur le pont du bateau.

- Ta mère ? Feint de s’étonner Odon.

- Oui ma mère, la Baronne de La Chambraère, grande amie de la regrettée Marquise de Pompadour. Je ne la connais guère car elle séjourne le plus souvent à la cour de France. Mais je crois bien la reconnaître. Oui, c’est bien elle ! Affirme François après avoir bien regardé.

Entre les deux navires une confortable passerelle est bientôt jetée. Passerelle sur laquelle bondit une fort jolie femme corsetée de froufroutants falbalas et parée de bijoux étincelants.

Toute frétillante d’amour maternel, la Baronne se jette dans les grands bras musclés de son fils bien-aimé en prenant toutefois garde de ne pas bousculer l’ordonnance de sa somptueuse toilette. Les présentations sont faites et la belle dame ne semble nullement effarouchée par la quasi nudité des deux jeunes hommes. Son regard soupèse expertement leurs glorieux attributs virils que la fine toile des pagnes ne dissimule guère.

- Ainsi donc voici le célèbre Bâtard Rouge en chair et en os ! Je ne vous imaginais pas si jeune et si beau et… disons… si croquant ! Mais où est donc votre perroquet ?

- Mon perroquet, Baronne ?

- Oui, selon ce que je sais, un pirate digne de ce nom doit avoir une jambe de bois et un perroquet sur l’épaule. Affirme la savante aristocrate.

- Je suis désolé, Madame, de ne pas correspondre à cette image mais le dernier perroquet que j’ai rencontré a fini ses jours dans mon assiette car je ne supporte pas les vains bavardages. Vous devez aussi savoir que je préfère m’exprimer en quelques lignes explicitement écrites plutôt que de prendre oiseusement langue. Quant à la jambe de bois, nous remettrons cela à plus tard, si vous y consentez. Répond Odon dans un ronron courtois.

D’un battement d’éventail la noble visiteuse met fin au débat et se tourne vers son rejeton qui écoute sans trop bien comprendre les propos de son amant.

- À la nouvelle que j’apporte vos beaux yeux ne devront pas pleurer, mon cher fils.

- Apprenez-moi cela, Mère, il me tarde de connaître cette nouvelle. S’enquiert poliment le jeune homme blond tout en caressant la divine chute de reins de son athlétique compagnon.

- Votre papa Phileas est mort, François ! Annonce la Baronne sur un ton solennel en repliant son éventail d’un gracieux coup de poignet.

- Mort, mon père ? Comment cela se fait-il, chère Mère ?

- Si fait ! Je l’ai vu, de mes propres yeux, roide mort sur le plancher. Son pauvre cœur s’est rompu suite à une vive émotion inattendue mais il est cependant inutile que vous portiez son deuil car le Gouverneur n’était pas votre père. Fort heureusement d’ailleurs parce que vous n’auriez pas ce physique d’Apollon qui doit enchanter les jouvencelles, les dames… et les messieurs. Gazouille la Baronne avec un regard appuyé en direction du Bâtard rouge.

- Mais alors, chère Mère, pouvez-vous me dire qui est mon père ?

- C’est Loulou votre père, mon Chéri.

- Loulou ?

- Oui, je veux dire Louis de Bourbon, quinzième Louis de France. Louis XV Le Bien Aimé, tout bonnement ! Roucoule la Baronne de La Chambraère.

- Qu’est-ce à dire, Mère aimée, je serais un bâtard du Roi de France ? Expliquez-moi, je vous prie. Interroge François en levant un sourcil blond d’une courbe parfaite.

- Dans ma jeunesse j’étais dame de compagnie de la Reine mais je n’ai pu résister au charme du Roi. Après moult galipettes Loulou m’engrossa et j’épousais alors Phileas de La Chambraère pour respecter les convenances. Une demoiselle de bonne famille ne peut avoir d’enfant sans avoir un mari. C’était une mésalliance, j’en conviens, mais à présent que je suis veuve et que tout rentre dans l’ordre, je puis reprendre mon titre de Marquise de la Foufolle et disposer allègrement de ma dot royale. Mais ce n’est pas pour vous parler de ces billevesées que je suis venue, mon cher fils. Continue-t-elle d’expliquer en réajustant une boucle rebelle.

- Pourquoi êtes-vous donc venue, Mère adorée que je dois considérer à présent comme la Marquise de la Foufolle ? S’enquiert François, guère ému par toutes ces banales révélations.

- Je suis venue vous annoncer que vous êtes le nouveau Gouverneur Général des Antilles par lettre de provision royale. Lettre que je vous apporte céans.

- Gouverneur à mon âge ? Mais c’est du piston, Mère !

- Peut-être bien mais de quoi vous plaignez-vous, François. N’êtes-vous point un bâtard royal ? D’ailleurs Loulou souhaite que vous vous présentiez à la Cour le plus vivement possible. Il a hâte de faire votre connaissance et de vous attribuer un titre qui convienne à votre naissance.

Durant l’échange verbal entre la mère et le fils, Odon s’est éloigné de quelques pas pour s’adosser au grand mât. Bras croisés et tête inclinée, il semble réfléchir, le visage sombre. Il était si excitant pour lui de baiser le fils de son ennemi et voici qu’à présent il apprend que son amant n’est pas le fils du Gouverneur. Que doit-il en penser ?

Remarquant sa prise de distance soudaine, François s’adresse à lui :

- Qu’as-tu Odon ? Toutes ces nouvelles que Madame la Marquise nous apporte n’ont pas l’air de te convenir ?

- Non pas, François. Je me réjouis pour toi mais je me disais que la vie est décidément pleine de méandres. Répond le bâtard Rouge en se ressaisissant pour lui adresser un sourire éclatant.

Nous avons oublié de préciser qu’auprès de la pétulante aristocrate se campe un jeune homme de belle prestance. Très mignon et de taille moyenne, il a une chute de rein à damner un saint. Il se présente comme étant l’abbé Gaétan Boxon, confesseur de la Marquise. Cette dernière tient à préciser que son confesseur se consacre à la généalogie des Saints Martyrs, tout du moins pendant le peu de temps qu’il lui reste après ses dévotions.

Sa perruque blanche met admirablement en valeur son teint basané et sa redingote courte révèle des jambes musclées joliment cambrées.

Il est inutile de préciser que le mignon confesseur est également l’un des multiples amants de Mademoiselle Angélique de La Foufolle, veuve éplorée de Monsieur de La Chambraère. Pour le moment peu préoccupé par les appâts de la vibrante Marquise, le jeune tartuffe a le regard planté sur les fastueuses anatomies d’Odon et de François.

Prédateurs toujours en quête de proies, les deux garçons échangent un regard complice. Le jeune ecclésiastique pourrait fort bien convenir pour agrémenter la nuit prochaine. Décision est prise.

- Madame la Marquise, nous feriez-vous l’honneur de partager notre modeste repas ce soir ? Vous disposerez d’une cabine confortable mais l’abbé, par manque de place, devra partager la nôtre. Invite courtoisement le Bâtard Rouge en s’inclinant avec grâce.

La Marquise s’empresse d’accepter l’invitation à dîner pour le plus grand bonheur de Gaétan Boxon qui mouille d’excitation à l’idée de dormir en compagnie de ces deux demi-dieux si hospitaliers.

- Mais il me faut une chambrière pour me vêtir et m’aider à la toilette. La mienne est passée par-dessus bord lors du voyage. La pauvrette avait un affreux mal de mer. Me voilà fort marrie d’avoir perdu ma servante. Chouine la Marquise.

- Le quartier-maître Rocco fera bien votre affaire, Madame. Malgré son gabarit, il a des doigts de fée. Jupons, corsets, rubans et dentelles n’ont pas de secrets pour lui. Sa mère était l’une des couturières préférées de la marquise de Pompadour. C’est pour vous dire, la rassure le Bâtard Rouge.

- Dans ce cas tout est parfait ! Convoquez, je vous prie ce Rocco afin que je puisse changer de toilette pour le dîner. Je l’attends dans la cabine que vous mettez si gracieusement à ma disposition.

Après avoir transbordé les 8 malles de voyage nécessaires à la toilette et à la parure de Madame, le gigantesque Rocco entre au service de la noble invitée. Entrée en service qui se déroule très bien à entendre les éloges dithyrambiques que braille la douairière derrière les rideaux de la cabine. Il est fort probable que sa foufoune se souvienne très longtemps de la gaillarde prestation du colosse noir.

C’est toute pimpante et guillerette que la Marquise de La Foufolle entre dans le carré des officiers pour le dîner. Elle pantèle d’aise en constatant la virile allure des lieutenants du Bâtard Rouge qui est lui-même vêtu fort élégamment ainsi que François. Entourée de tous ces beaux mâles, elle rayonne et annonce derechef à son confesseur qu’elle aura beaucoup de péchés à lui confesser demain matin. À n’en point douter il lui faudra obtenir une indulgence papale dans les plus brefs délais.

Le service à la française est assuré par quatre jeunes matelots fort bien bâtis qui doivent bientôt, à la demande pressante de la Marquise, abandonner leurs livrées brocardées pour se ceindre succinctement les reins d’une fine cordelette. Les mets sont exquis et raffinés et les vins sont des grands crus. Chacun fait assaut d’esprit pour évoquer les écrits très divertissants de Voltaire et de Rousseau. N’est-il pas de bon ton, en ce siècle, d’avoir l’esprit éclairé par les Lumières ?

Après le repas, c’est complètement pompette que Rocco reconduit la Marquise dans sa cabine. Toujours aussi prévenant, il l’aide à se déshabiller pour la mettre au lit et la sauter comme une gueuse pour la faire dormir. Mais Angélique est une insomniaque.

Saisie de nostalgie aux alentours de minuit, elle va sur le pont contempler le clair de lune qui se mire dans les flots langoureux de la mer des Caraïbes. Elle descend ensuite dans le sous-pont faire un petit coucou à l’équipage qui roupille sur ses deux oreilles. Il s’ensuit un joyeux tapage qui perdure jusqu’au petit matin.

Mais que se passe-t-il donc dans le gaillard arrière de la Bloody Mary, redoutable frégate pirate au mouillage dans la baie enchanteresse d’une ile paradisiaque des Grenadines ?

- Alors l’abbé, es-tu toujours disposé à partager notre cabine par cette belle nuit étoilée. Interroge gentiment le bâtard Rouge.

- Bien sûr Messire Odon. Ce sera pour moi un honneur que de dormir en la plaisante compagnie de deux personnes de qualité. S’empresse de répondre Gaétan en accompagnant François et Odon dans leur cabine.

- Avant de réciter ta prière de minuit, ne voudrais-tu pas faire une petite partie de bilboquet avec nous ? Propose aimablement François en refermant la porte derrière eux.

- Oh oui certes, à condition d’être la boule ! Salive Gaétan en se déshabillant prestement après avoir déposé bréviaire et chapelet.

Le jeune abbé est fort bien tourné de sa personne. Il a une brune peau satinée qui ne demande qu’à être caressée et un petit cul diabolique qui exige le viol. Quant au pénis, il pourrait largement satisfaire les plus difficiles de mes lecteurs.

Seulement vêtu de l’anneau d’or qu’il porte à l’oreille gauche, Odon s’avance vers lui, le mufle menaçant. Son grand pieu raide est le présage du supplice du pal.

- Lubrique personnage ! Comment oses-tu forniquer avec la respectable maman de mon ami François ! Cela mérite une sévère punition !!! Rugit le musculeux métis pirate en s’emparant de lui comme d’un jouet.

- Oh oui ! Oh oui ! Je dois faire repentance, je suis un abominable pêcheur ! Il faut que vous m’infligiez une sévère punition pour la rédemption de mon âme !!! Brame le confesseur de la Marquise à présent embroché jusqu’à la glotte.

Debout, arc-bouté sur ses reins et ses jarrets d’acier, le Bâtard Rouge commence à jouer au bilboquet sans rater un seul coup. Son manche s’enfile à chaque fois pile poil dans le trou de la boule percée.

Poitrine contre poitrine, les bras enroulés autour des cuisses écartées du jeune abbé, il lui imprime une cadence dévastatrice.

- Viens me rejoindre, François ! Dans le trou de l’abbé il y a de la place pour deux. J’aimerais sentir ta queue se frotter à la mienne. Invite Odon.

- Vous n’y songez point, Messieurs !!! S’écrit Gaétan en sentant François se plaquer à son dos et des doigts s’insinuer dans sa rosette déjà fortement dilatée.

- Pourquoi ça, l’abbé ?

- Ce serait comme mettre deux pieds dans une seule chaussure ! Vous allez me fendre en deux !!! Gémit le malheureux.

- Bonne idée, Odon. Je viens te rejoindre. Notre bel ami semble avoir le cul bien souple mais il va falloir que je force un peu pour enfoncer ma bite à côté de la tienne. Susurre le garçon blond qui est déjà parvenu à introduire son gland aussi dur qu’une pierre.

Les braillements de leur ecclésiastique victime doublement empalée n’émeuvent guère les deux compères qui unissent leurs efforts pour mieux encore la perforer. Avec des ahanements de bêtes en rut, ils savourent le bonheur de frotter leurs gros phallus l’un contre l’autre dans le petit fourreau hospitalier… mais très distendu.

Le beau confesseur de la Marquise Angélique de la Foufolle invoque en vain tous les Saints martyrs du calendrier sans parvenir à trouver celui qui puisse convenir à son cas désespéré. En effet, nul n’a encore entendu parler d’un Saint martyr qui se soit retrouvé avec deux obélisques dans le cul.

Épargnons aux plus sensibles de nos lecteurs le spectacle éprouvant d’un défoncement de croupion apocalyptique. Ce n’est qu’aux premières lueurs du jour que le très sexy confesseur de la Marquise de La Foufolle peut se remettre à ses dévotion… dans un état pitoyable, il faut bien l’admettre…

Au matin, c’est un peu flageolant que François retrouve sa mère trépignante sur le pont du navire.

- Mais enfin François, où sont donc vos bagages ?

- De quels bagages me parlez-vous ma mère ? Questionne le jeune homme dans un bâillement.

- Mais enfin, il nous faut embarquer dès à présent si nous voulons être à Fort Royal ce soir. Dépêchez-vous, je vous prie, vêtez-vous de convenable façon ! Vos fonctions de Gouverneur vous attendent !

- Je n’ai nulle intention d’être le gouverneur des Antilles, Madame. Il me plaît davantage de rester auprès de mon ami Odon. Répond froidement François.

- Votre ami le Bâtard Rouge vous a libéré sans condition, mon fils. C’est pourquoi je suis venue vous chercher. Soyez raisonnable, cher enfant, et venez avec moi rejoindre la Martinique.

- Repartez sans moi, mère, je ne vous suivrai pas ! Déclare François.

- Tu n’es plus le bienvenu sur mon navire, François. Il faut que tu partes. Dit une voix familière derrière lui. Cette voix tant aimée.

Le garçon se retourne d’un bloc pour faire face au Bâtard Rouge qui le dévisage. Le regard glacé du pirate le transperce comme une lance. Il comprend soudain et souffre la malemort. C’est fini.

- Ainsi donc, tu me répudies comme une courtisane flétrie !? Dès cet instant je te hais à la mesure de ce que je t’ai aimé, Bâtard Rouge ! Feule le nouveau gouverneur des Antilles, le visage blême.

- Adieu François. Se contente de lui répondre Odon.

Malgré le chagrin qui le dévaste, François redresse la tête et se dirige vers la passerelle qui relie les deux navires pour la franchir d’un pas raide et disparaître dans les profondeurs du brick.

Vainement Odon cherche la silhouette de son amant sur le pont du bateau qui s’éloigne. Une sourde douleur empoigne maintenant son cœur. Ce qu’il ne sait pas encore, c’est que cette douleur sera sa fidèle compagne un an durant.

C’est la mousson. Campé sur la plage, la taille ceinte d’un pagne que fait claquer le vent violent, Odon contemple la baie. Une forte houle fait tanguer la Bloody Mary qui tire furieusement sur ses ancres. Le pirate n’est pas inquiet car il sait que les apparaux de mouillage sont solides. Sur l’horizon sombre un cyclone déploie sa rage en s’orientant vers la Martinique.

Le bâtard Rouge pousse un soupir et se dirige vers l’élégant bungalow qu’il a fait construire quelques mois auparavant. Il y a de cela une heure, mêlés au bruit des vents tournoyants, il a entendu les vagissements de son fils Loïc de Dutonnerre qui vient de naître. Il sait que l’enfant est un mâle puisque la vieille Térésa l’a prédit. Térésa, la sorcière fumeuse de pipe ne se trompe jamais.

Les affaires de femmes n’intéressent pas Odon et puis d’ailleurs Castoro sait parfaitement bien aider sa sœur à accoucher. Ils n’ont pas besoin de lui.

L’homme soupire encore une fois en s’amusant de son cynisme. Il sait que son cœur n’est pas ici mais à Fort Royal. Récemment il est allé à Fort Royal pour faire enregistrer son acte de mariage avec Polluxa qui est à présent sa comtesse. En arpentant les rues étroites il a croisé un luxueux carrosse.

Dans ce carrosse il y avait François. Quand leurs regards se sont brièvement rencontrés à travers le vitrage, ce fut comme un coup de poignard qu’on lui plantait dans le cœur. Ni lui ni son ancien amant n’a manifesté la moindre surprise mais dans les yeux de François il y eut un feu ardent.

- Viens voir comme notre enfant est beau ! S’écrie Castoro quand il ouvre la porte du bungalow.

Les traits un peu tirés mais rayonnante de bonheur, Polluxa donne le sein à un poupard tout plissé. Feignant d’être admiratif, le Bâtard Rouge se penche sur son fils qu’il trouve abominablement laid. Il sait que dans quelques mois il s’ébaubira de la beauté joufflue de son fiston mais pour l’instant il n’est pas très convaincu. Dieu que les nouveau-nés sont moches !

- Loïc comme son frère Odran sera aussi grand et fort que toi et aura les cheveux blonds de Castoro. Dit la jeune mère en riant.

- Et tout comme Odran, il aura ta beauté. Rajoute Odon en embrassant tendrement la Comtesse Polluxa de Dutonnerre.

Dans les yeux de Polluxa il a autant d’amour pour Odon que pour Castoro. Ce sont ses hommes qu’elle aime passionnément. Ils forment tous deux une entité qui la comble et la protège. Pour elle, ils sont à égalité les pères de ses enfants.

Elle sait que le Bâtard Rouge l’a épousé pour légitimer ses fils mais que lui importe d’être une comtesse car elle restera toujours auprès de son frère amant Castoro qui est comme une part d’elle-même. Elle est l’épouse mystérieuse du Comte Odon mais aucun généalogiste ne retrouvera sa trace.

Dehors le vent se calme et il pleut à présent. Le cyclone s’éloigne mais des cataractes d’eau déferlent sur le robuste bungalow. La nuit est tombée brutalement, hantée de mauvais esprits. Alors sur des nattes, de part et d’autre du lit, les deux hommes se couchent pour veiller sur la mère et l’enfant jusqu’au matin.

La saison sèche s’annonce et un léger Alizé caresse la peau des deux hommes en sueur. Pour le confort de leurs ébats ils ont étendu une toile sur le sable d’une petite crique isolée.

- Arrête Odon. Ça fait une heure que tu me défonce, je n’en peux plus ! Supplie Castoro d’une voix rauque.

- Tu veux vraiment que je m’arrête ? Ronronne le Bâtard Rouge à l’oreille de sa proie.

- Non !

- À la bonheur ! Je sais bien qu’il en faut bien davantage pour te casser, mon petit costaud. Triomphe l’impitoyable dominateur en accentuant la force de ses coups de reins.

Odon exige toujours le paroxysme de l’orgasme et veut l’obtenir encore une fois.

Ce n’est donc qu’après l’avoir enfin obtenu qu’il relâche son étreinte. Poitrines haletantes comme des soufflets de forge, les deux hommes se dissocient et roulent sur le sol côte à côte. Ils se regardent en souriant sans échanger un mot. Ce n’est qu’au bout d’un long moment que Castoro prend la parole :

- Je sais bien qu’à chaque fois que tu me baises comme ça, tu penses à François. Dit-il.

- Je… Rougit Odon.

- Je ne t’en veux pas, Odon, parce que je sais que tu m’aimes aussi… à ta façon.

Le beau métis ne répond pas mais renverse la tête en arrière pour contempler le ciel. Sur sa gorge exposée, sa pomme d’Adam monte et descend comme un yo-yo. Sa poitrine se gonfle pour expirer un long soupir. Des larmes font briller ses yeux turquoise.

- Pardonne-moi, Castoro. Je ne parviens pas à oublier François. J’ai beau couler des dizaines de vaisseaux anglais et hollandais pour me changer les idées et ne pas perdre la main, le souvenir de ce mec continue de me tarauder. Dit-il enfin.

- Dans toutes les îles on a constaté que tu n’attaquais plus les navires français depuis que François de La Chambraère est le nouveau Gouverneur des Antilles. Est-ce un cadeau que tu lui fais ?

- Ouais, peut-être. Il faut dire aussi que depuis la mort de l’ancien gouverneur je n’ai plus de raisons valables d’envoyer des vaisseaux français par le fond. Je m’estime vengé mais ce n’est pas pour autant que mon âme soit apaisée.

- À mon avis tu seras toujours un tourmenté, Odon. Jusqu’à ta mort tu seras tout à la fois un ange et un démon. Tes blessures ne se refermeront jamais parce qu’au fond de toi-même tu ne souhaites pas qu’elles cicatrisent. N’ai-je pas raison ?

- Oui tu as raison, Castoro. Tu es le frère que je n’ai jamais eu et plus encore. Toi et ta sœur êtes mon havre de paix. Je suis rassuré de savoir que vous élèverez nos enfants d’une merveilleuse façon. Polluxa et toi m’acceptez tel que je suis et pourtant les dieux savent que je ne suis pas un cadeau. Merci.

- Ne nous remercie pas, Odon. Tu nous protèges et tu nous as comblé d’or. Grâce à toi nous pourrions vivre comme des châtelains si nous n’aimions pas autant notre île et notre vie de boucaniers.

Le bâtard Rouge s’assied et noue les bras autour de ses jambes repliées. Il pose sa tête sur les genoux et fixe rêveusement l’horizon. Il aime la main caressante que Castoro glisse sur son dos. Sous le bruissement des cocotiers il goute un moment d’apaisement. Quel étrange destin que d’être un homme si riche et si puissant sans parvenir à être heureux.

- Quoi que tu puisses me dire, je sais que tu aimes François et nous savons tous qu’il t’aime. Ne serait-il pas plus simple que tu lui déclares ton amour ? Suggère timidement l’homme blond.

- Il n’en est pas question ! Ce serait me soumettre que lui dire que je l’aime. Je préfère mourir que d’être enchaîné par l’amour d’un homme ! Gronde le métis.

- C’est de l’orgueil, rien d’autre ! Aurais-tu peur d’aimer un homme ? Lui rétorque Castoro.

- Tu as probablement raison mais sache je n’ai peur de rien sauf justement de l’amour car il nous rend vulnérable. D’ailleurs, pour changer de conversation, ne vois-tu pas un bateau qui rentre dans la baie ?

- En effet ! On dirait même que c’est le brick privé de la Marquise de la Foufolle. Il a hissé le drapeau blanc des pourparlers. C’est étrange. Observe Castoro.

Sur les eaux calmes de l’anse, un élégant petit navire vient d’apparaître. Il a cargué ses voiles et glisse sur sa lancée. À seulement une encablure de la Bloody Mary immobile, il mouille l’ancre.

Quelques yoles de boucaniers curieux accostent le bateau des visiteurs et l’on distingue un homme qui descends l’échelle de corde pour monter à bord de l’une d’elles. D’un pas tranquille, Odon et Castoro rejoignent la plage et arrivent juste à temps pour voir la yole planter son étrave dans le sable.

Le visiteur semble jeune car il saute lestement sur le rivage.

- Holà, l’homme, qui êtes-vous ? Claironne le quartier-maître Rocco en s’avançant vers lui, peu rassurant avec son sabre à la ceinture.

- Je suis l’ambassadeur du Gouverneur des Antilles. Je souhaiterais rencontrer le comte Odon de Dutonnere pour lui remettre un message. Répond Gaétan Boxon.

Il s’agit bien du sémillant confesseur de la Marquise de La Foufolle comme le constate le Bâtard Rouge qui se surprend à bander dur tandis que le jeune homme coure maintenant vers lui.

Resplendissant de santé, seulement vêtu d’un pantalon de corsaire et d’une chemise de coton écru, Gaétan a pris du muscle et son hale le rend encore plus appétissant.

- Tu as bonne mine, l’abbé. Que me vaut l’honneur de ta visite ?

- Je suis porteur d’un message du Gouverneur, Monsieur le Comte. J’ose croire que ce message vous donnera satisfaction.

- De quoi s’agit-il ?

- Par diverses instances auprès de la cour de France, François de La Chambraère a obtenu votre amnistie. Vous n’êtes plus considéré comme un ennemi du royaume et tous vos titres et domaines vous sont restitués de par la volonté du Roi.

- Que cela est plaisant à entendre mais que m’importe la volonté du Roi de France puisque je règne déjà en maître sur les Isles au Vent des Antilles. Aurais-tu d’autres nouvelles plus intéressantes à m’apprendre, gentil ratichon ? Répond le Bâtard Rouge sur un ton méprisant.

- Je peux vous apprendre aussi que François est affligé d’une grande tristesse. Comme je suis à présent son confesseur, il me faut faire beaucoup d’efforts pour le distraire de sa morosité.

- Cela explique ta bonne mine l’abbé. J’imagine qu’après avoir dépoussiéré son âme de tous ses péchés en se confessant à toi, il fait pénitence en décrottant ton petit cul de salope. N’est-il pas vrai ? Ricane Odon.

- Cela est vrai Monsieur le Comte. Chaque semaine le Gouverneur fait confesse sur une yole conduite par un équipage de robustes Martiniquais. Après l’absolution et avoir fait pénitence, il peut alors s’adonner à de petits plaisirs qui le délassent de ses lourdes charges administratives. Susurre Gaétan un peu embarrassé.

- Je vois cela. Autrement dit notre cher François soigne son chagrin d’amour en partouzant sur une yole au large de la Martinique. Ce garçon est décidément un grand sentimental ! Commente cyniquement le Bâtard Rouge. Mais dis-moi l’abbé, quand prendra effet cette amnistie royale qui me concerne ?

- Le texte de l’amnistie royale a déjà été affiché dans les rues de Fort Royal. Vous pouvez dès à présent reprendre possession des propriétés qui vous avaient été confisquées et vous promener en toute liberté en Martinique. Prenez toutefois garde car vous avez de nombreux ennemis.

- Ça je m’en doute. Il s’agit bien évidemment de toutes ces petites crapules qui profitaient des faveurs de l’ancien gouverneur. Il va donc falloir que je fasse décapiter quelques-uns de ces croquants pour enfin pouvoir respirer en paix. Marmonne Odon avec un sourire de tigre.

Feignant de ne pas avoir entendu les propos menaçants du Bâtard Rouge, L’abbé continu d’expliquer que le pirate peut se considérer désormais comme étant le corsaire de Sa Majesté Louis XV. Il peut donc revenir en Martinique quand cela lui chante. Il ajoute que le Gouverneur François de La Chambraère à l’intention de donner une grande réception au palais pour officialiser son retour. À cette réception seront conviés tous les nobles et planteurs des Antilles.

Toutes ces clémentes dispositions royales font sourire Odon. Il sait qu’il a provoqué la ruine de nombreux planteurs en coulant systématiquement les navires qui transportaient le sucre et le café vers l’Europe. Cela en représailles contre les charognards qui avaient fait main basse sur ses vastes domaines. Il sait que son retour en Martinique ne sera pas apprécié de tous mais peu lui chaut. Il reste toutefois méfiant.

- Tout cela m’étonne un peu car le jour où nous nous sommes séparés, François n’était pas de très bonne humeur. Il prétendait même me haïr. Sourit-il.

- Sans violer le secret de la confession, je puis vous affirmer, Monsieur le comte que François de La Chambraère se languit de vous. Animé de colère dans les premiers mois, il a ensuite compris votre attitude et il est à présent empli de doux sentiments à votre égard. Lui répond le confesseur.

- Bien. Tu diras donc au Gouverneur que je le remercie pour toutes les dispositions qu’il a prises à mon égard. Tu lui diras aussi qu’il est dans mon intention de m’installer dans mon domaine Beauregard qui est plein des souvenirs de ma tendre jeunesse.

- Quand cela, Messire ?

- Quand cela me conviendra, l’abbé. Je lui enverrai un messager quand j’aurai pris mes aises à Beauregard. De toute manière, je ne pense pas que mon arrivée passera inaperçue. Ricane le Bâtard Rouge.

- Il faut à présent que je vous remette, sans tarder, tous les documents officiels qui pérennisent votre statut de Grand Corsaire du Roy. Il faut donc que je retourne au bateau les quérir. Annonce l’abbé.

- Tu me porteras ces lettres ce soir sur ma frégate ou je t’attendrai. Tu dîneras avec moi en compagnie de Castoro et nous conclurons la soirée par une petite partie de bilboquet. Roucoule Odon avec un petit sourire cannibale.

- Ce sera avec un immense plaisir d’autant que j’ai fait de grands progrès et que je tiens la forme. Accepte Gaëtan Boxon, l’œil brillant.

- Parfait. Nous apporterons alors quelques petites variantes à ce jeu qui est excellent pour favoriser la bonne digestion. Promet le Bâtard Rouge sur un ton badin.

C’est au coucher du soleil que Gaétan Boxon remet au Bâtard Rouge l’édit royal faisant de lui le Grand Corsaire du Roy. Édit qui l’absout de ses méfaits antérieurs et qui lui restitue tous ses biens confisqués.

Comme nous sommes un vendredi et que c’est jour maigre, il sera servi pour le dîner des canards dodus. Oiseaux aquatiques considérés comme du poisson par la Sainte église. L’abbé apprécie fort cette délicatesse. Après un bref bénédicité, Odon, Gaétan et Castoro dévorent à belles dents.

Comme il s’agit d’un repas intime, c’est uniquement le mousse Piccolo qui assure le service en faisant clapoter ses pieds nus autour de la table. Ce faisant il ne cesse de lorgner la braguette bien pleine du jeune confesseur qui ne semble pas insensible à ses regards insistants. Après une dernière rasade de rhum, le capitaine pirate interroge :

- Alors l’abbé, toujours partant pour une petite partie de bilboquet ?

- Plus que jamais Monsieur le Comte. Il me tarde de faire pénitence car j’ai beaucoup pêché ces temps derniers. Répond l’ecclésiastique en arrachant sa chemise et en dénouant les aiguillettes de sa culotte.

Odon constate avec satisfaction que l’exercice de la confession a ciselé le corps du jeune abbé de belle manière. Ses épaules sont bien rondes et son petit fessier bien pommé. Ses promenades en yole avec François lui ont été très bénéfiques. À cela se rajoute un hâle fort plaisant.

Prenant leur temps, Odon et Castoro se déshabillent à leur tour pour s’asseoir face à face sur le grand lit. Glissants sur le drap, ils s’emboitent l’un à l’autre en imbriquant leurs longues jambes jusqu’à ce que leurs pénis en érection se touchent sur toute leur longueur.

- Aïe, tu m’écrase les boules à mort avec tes grosses couilles ! Grimace Castoro.

- Ça fait mal ?

- Ouais et pas qu’un peu ! Grommelle son athlétique partenaire blond.

- Alors tant mieux ! Cela ajoutera un peu plus de piquant à notre petit jeu. Glousse Le bâtard rouge en saisissant une cordelette.

- Qu’est-ce que tu vas faire ? S’inquiète Castoro.

Odon de répond pas et noue solidement la cordelette autour de la racine de leurs deux sexes pour les réunir étroitement. Il est désormais impossible que les deux hommes puissent s’écarter l’un de l’autre.

Castoro serre les dents mais affiche une expression déterminée. Le boucanier n’est pas une mauviette. La ligature intensifie l’érection et fait saillir de grosses veines sur les épaisses verges congestionnées. Gaétan Boxon pense défaillir devant l’énormité des deux obélisques jumelés.

- Ô grand jamais je ne pourrais m’asseoir sur cela, Monsieur le Comte ! Bafouille-t-il, les yeux exorbités.

- Tu vas t’enfiler vite fait sur nos zobs, sinon je vais sévir !!! Rugit le Bâtard Rouge.

Ému par la pathétique détresse du jeune abbé, Piccolo se saisit de l’huilier vinaigrier de cristal pour lubrifier abondamment la rosette de ce dernier. Toujours secourable, il l’aide à grimper sur le lit pour se positionner au-dessus des deux hommes encastrés.

Le mugissement que pousse Gaétan en s’empalant fait vibrer la Bloody Mary jusqu’à sa quille.

Ployant et déployant ses jarrets musclés, il monte et descend sur la double colonne de plus en plus frénétiquement et de plus en plus profondément. Pour lui ce n’est bientôt plus que du bonheur qu’il exprime par des clameurs retentissantes.

- Comment ça se passe pour toi, Castoro ? Interroge Odon.

- J’ai la queue au Paradis et les couilles en Enfer ! Parvient à lui répondre l’ami fidèle, le visage luisant de sueur.

- Parfait ! Tout cela me convient. Mais toi Piccolo, au lieu de rester à bailler aux corneilles, tu ferais mieux de sucer notre ami l’abbé. Exécution, c’est un ordre !!!

- À vos ordres, capitaine ! Répond le mousse en engloutissant la queue turgescente de Gaétan qui croit devenir fou.

- Capitaine ?

- Oui, mon petit Piccolo. Qu’y a-t-il ? Répond Odon.

- Le curé a les couilles bien pendantes et je crois qu’il est possible que je lui bourre les boules dans son trou pour tenir compagnie à vos nobles queues.

- Excellente et ingénieuse idée, Piccolo. Ses boules feront office de roulement à billes. Approuve le capitaine pirate.

Épargnons à nos lecteurs fragiles les détails de cette délicate opération qui consiste à introduire deux gros testicules dans un anus déjà bien encombré. Disons toutefois qu’après un long moment l’orgasme simultané des quatre hommes à la besogne fut absolument remarquable et que ce ne fut qu’après deux heures d’un sommeil quasi comateux qu’ils purent renouveler leur exploit.

Signalons que Gaétan Boxon mit une semaine à s’en remettre et que Piccolo souffrit d’une alarmante indigestion de foutre. Castoro, quant à lui, se retrouva avec des burnes grosses comme des noix de coco que Polluxa s’empressa de purger consciencieusement.

Sur la plage parsemée de beaux coquillages aux couleurs pastel, le Comte Odon de Dutonnerre se promène la tête pleine de projets. Quand va-t-il retourner en Martinique et de quelle manière ?

Un doux Alizée caresse ses épaules. La belle saison est revenue. Sa pensée s’envole un instant vers François qui attend, là-bas, son retour.

C’est aux alentours de la Noël qu’apparaît la Bloody Mary à deux milles de Fort Royal. Majestueuse sous sa blanche voilure, elle est suivie de six frégates aux lignes racées. Les sept navires en provenance des Grenadines tirent chacun un coup de canon à blanc pour bien annoncer leur arrivée. Le Bâtard Rouge ne fait jamais dans la discrétion.

Accourue de toutes parts la population se rassemble sur les terrasses et les remparts de la ville. La perruque en bataille et sa lorgnette revissée à l’œil, l’Amiral de La Chevillette trépigne :

- Allez sur le champ avertir le Gouverneur ! Le Bâtard Rouge est de retour ! Dites-lui aussi que cet insolent dispose d’une véritable flotte et qu’il s’en retourne comme il est venu !

En effet, au lieu de faire cap vers l’entrée du port, la petite flotte, en ligne comme à la parade, manœuvre pour redescendre vers le Sud. Étendard flottant d’or à l’aigle éployée de sable, au chef d’azur chargé d’un soleil du champ, le redoutable Comte Odon de Dutonnerre se dirige maintenant vers son domaine Beauregard sans faire escale à Fort Royal. Serait-ce du mépris que de ne point venir tout d’abord saluer le Gouverneur des Antilles pour lui prêter allégeance ?

Le cœur d’Odon se serre quand ses navires pénètrent dans une baie ourlée de plages. Bâtie sur un promontoire rocheux, la vaste maison de son enfance l’accueille dans sa blancheur. Ceinturée de vérandas à fines colonnades elle inspire le bonheur de vivre. Proche de Fort Royal elle fut la résidence principale de son père. C’est là qu’Odon passa les jours les plus heureux de sa jeunesse.

Roi sans couronne, le Bâtard Rouge débarque et s’installe, entouré de centaines de ses fidèles sur ses terres retrouvées. Le premier maître Pinovan se révèle être un excellent maître d’hôtel et le quartier-maître Rocco ainsi que le mousse Piccolo veillent jalousement sur son confort.

Il arrive parfois que pour chasser l’ennui, Odon accueille dans son lit un jeune matelot solidement charpenté et bien monté.

Ce soir-là, le dorénavant Grand Corsaire du Roy déguste un rhum parfumé sur sa terrasse quant accoste une yole sur son rivage.

- Quel bon vent t’amène à nouveau, l’abbé ? Chuinte-t-il à l’apparition d’un Gaétan Boxon tout frétillant.

- Monsieur le comte, je suis porteur d’une invitation du Gouverneur François de La Chambraère. Il a organisé une réception en votre honneur. Il serait très satisfait de vous revoir. Annonce le confesseur.

- Ma foi, cela peut être divertissant. Tu diras à ton Gouverneur que j’accepte sa courtoise invitation. Baille Odon en l’invitant à s’asseoir d’un geste nonchalant.

Gaétan se trémousse sur son siège tandis que Piccolo lui sert un copieux verre de rhum. Les braguettes des deux jeunes hommes deviennent très proéminentes sous le regard amusé du maître des lieux.

- Dis-moi si je me trompe, Gaétan. Mais il me semble que tu es venu à bord de la yole sur laquelle François se confesse toutes les semaines. N’est-il pas vrai ? Susurre Odon.

- Cela est vrai Monsieur le Comte et vous avez dû remarquer combien son équipage est sémillant.

- En effet l’abbé, ces jolis gaillards me semblent très alertes. Je vous retiens donc tous à dîner ce soir. Cela me permettra de vérifier s’il ne subsiste pas quelques puceaux tardifs parmi ces jeunes hommes. Décide le Grand Corsaire Royal.

- Alors il n’y aura pas de partie de bilboquet après le diner ? Se désole le confesseur.

- Non, il n’y aura pas de partie de bilboquet ce soir car je serai très occupé mais je suis persuadé que Rocco et Piccolo ont de grands projets pour toi. Le console le Bâtard Rouge.

Peu de jours après, c’est dans une calèche vélocement tractée par de fringants chevaux que le Comte de Dutonnerre se rend à la réception du Gouverneur. Tout le gotha des Antilles Françaises est réuni au palais du Gouverneur Général.

La salle de bal est bruissante de cancanages et il faut avoir l’oreille fine pour entendre l’orchestre. Malgré les fenêtres grandes ouvertes, la chaleur est étouffante et les gouttes de sueur font des sillons sur les fards des aristocrates parés de leurs plus beaux atours.

Quand le majordome annonce, d’une voix de stentor, le Comte Odon de Dutonnerre, toutes les têtes perruquées se tournent vers l’entrée principale et tous les caquètements cessent. C’est le grand silence et seul un insolent clavecin ose encore égrener quelques notes cristallines.

Indifférent aux centaines de regards braqués sur lui, le Comte s’avance d’un pas chaloupant et nonchalant vers la foule chamarrée qui s’écarte devant lui comme la vague devant l’étrave.

Point de perruque poudrée. Sa chevelure crépue est divisée en une multitude de fines tresses entrelacées de fils d’or. Tresses qui sont artistiquement rassemblées pour former une sorte de casque guerrier qui sied admirablement à son profil martial.

Point de redingote brocardée et de chemise à jabot mais une veste de velours de soie pourpre largement ouverte sur son torse nu sculptural. Point de bas et de chaussures à boucles mais de hautes bottes qui montent jusqu’à mi-cuisse. À part l’anneau d’or fixé à son oreille, il ne porte pour seul bijou qu’une fine chaîne autour du cou. Chaîne d’or à laquelle est suspendu un médaillon d’or.

- On devrait pendre ce pirate nègre haut et court au lieu de l’honorer de la sorte. Chuchotent fielleusement certains nobles ulcérés de jalousie.

- Il est bien trop beau pour cela. Gloussent les dames derrière leur éventail.

À l’apparition du seigneur barbare, François s’élance spontanément pour l’étreindre avec effusion sous les regards surpris sinon scandalisés de l’assistance.

- Tu es quand même venu malgré le danger ! Dit-il d’une voix étranglée.

- Crois-tu que ces matamores me fassent peur ? Sourit le Bâtard Rouge.

Cela fait un an que les deux hommes ne se sont pas revus et le cœur du jeune gouverneur bat la chamade. Il contemple le visage de son ancien amant qui est encore plus beau que dans ses souvenirs. Puis avisant le médaillon qu’il reconnaît, il s’en empare comme un enfant curieux.

En ouvrant le médaillon, ses yeux se mouillent en y découvrant une fleur de frangipanier fraîche et odorante. Alors sans se préoccuper de l’offuscation générale, il pose ses lèvres sur la belle bouche du métis pour lui rouler un patin fabuleux.

L’éventail en bataille et le talon claquant, la Marquise de La Foufolle quitte la salle de bal en poussant des glougloutements de dinde indignée mais l’Amiral de La Chevillette, quant à lui, semble passablement ému. Des souvenirs de jeunesse assaillent le vieil homme qui écrase furtivement une larme avant de plonger les naseaux dans le pommeau de sa canne à parfum.

Le visage rayonnant de bonheur, François se tourne vers la foule de ses invités pour leur annoncer sereinement qu’il se retire dans ses appartements à cause d’une subite et violente migraine. Sous les regards médusés, il se retire donc en entrainant derrière lui l’arrogant Comte Odon de Dutonnerre dont la braguette prend des proportions olympiennes.

Dans l’ombre d’une chambre somptueusement meublée, Odon et François se retrouvent seuls.

- Tu m’as tellement manqué. Je devrais te faire décapiter par mes gardes pour m’avoir tant fait souffrir. Gémit le jeune Gouverneur.

- Fais-le, si tu l’ose. Rit Odon en tombant la veste.

En redécouvrant le corps ciselé du mulâtre, François comprend une fois encore qu’il ne se lassera jamais de cette splendeur. Jamais tant qu’elle existera. Jamais tant qu’Odon vivra.

- Laisse-moi te déshabiller, Odon. Il y a si longtemps que j’attends ce moment. Demande François en débouclant déjà le large ceinturon.

Le corsaire se laisse choir en arrière sur le lit pour arracher ses bottes tandis que le jeune gouverneur dénoue fébrilement les aiguillettes de sa culotte moulante.

Quand il est nu, la pine raide comme un pieu, le jeune comte redresse la tête et braque sur François des yeux interrogateurs :

- Tu ne te déshabilles pas ?

Le regard soudainement devenu minéral, ce dernier ne lui répond pas mais rugit :

- Gardes, saisissez cet homme et enchaînez-le !!!

Alors, de derrière deux grands paravents venus de Chine, quatre colosses noirs surgissent. Sanglés de cuir et bardés de fer, ils se ruent sur l’homme nu sans lui laisser le temps de se relever. Odon lutte farouchement mais le combat est trop inégal.

Pour le maitriser, les quatre grosses brutes lui tordent les bras en l’écrasant de tout leur poids. Ce n’est qu’à l’issue d’une lutte acharnée que le jeune homme est terrassé. L’un des gardes lui place alors des bracelets d’acier aux poignets et aux chevilles tandis que les trois autres le maintiennent couché à plat dos sur le lit.

- Pourquoi fais-tu cela, François ? Questionne-t-il, haletant.

- Je fais cela pour te faire payer ce que tu m’as fait subir quand j’étais ton prisonnier. Dorénavant tu es ma chose et je peux disposer de toi à merci ! J’ai fait aménager cette chambre en cellule. Les fenêtres sont barreaudées et la porte renforcée. Tu ne pourras pas t’échapper !

- Tu es bien rancunier, petit blondinet. Combien de temps comptes-tu me garder prisonnier ? Ricane le Bâtard Rouge.

- Je ne sais pas encore. Cela dépendra de ton endurance que je sais grande. Répond le Gouverneur, le sourire mauvais.

- Mes hommes viendront me délivrer. Tu le sais bien. Affirme le prisonnier.

- Cela est improbable parce que j’ai fait savoir que tu seras exécuté à la moindre tentative de libération. À tour de rôle, l’un de ces quatre hommes restera en permanence dans ta cellule et ne te quittera pas des yeux un seul instant. Il te tranchera la gorge à la plus petite alerte.

- Tu dois avoir beaucoup de ressentiment à mon égard pour agir ainsi. Murmure Odon.

- Oui, j’ai beaucoup, beaucoup de ressentiment. Tu m’as rendu fou d’amour et jamais une seule fois tu n’as voulu me dire que tu m’aimais un tant soit peu. Tu te moques sans cesse de moi. Dis-moi seulement que tu m’aimes et je te délivrerais sur-le-champ.

- Non !

- Pourquoi t’obstiner ainsi ? Il suffirait que tu me dises une seule fois que tu m’aimes pour que je fasse semblant d’y croire. Dit amèrement l’homme blond.

- Tu me connais mal, François. Si un jour je devais te dire que je t’aime ce serait parce que je t’aime vraiment. Ce serait la pure vérité. Je ne sais pas mentir. Toi qui voulais me donner des leçons d’amour, tu devrais réviser ta copie. Rit le corsaire en dodelinant de la tête.

Sans se préoccuper le moins du monde de la présence des gardes, François se déshabille et se glisse sur le lit. À son approche, le prisonnier tente de se dérober dans un cliquetis de chaînes et lève les mains dans un geste de menace.

- Ne m’approche pas et surtout ne me touche pas ! Gronde-t-il en montrant les crocs.

- Kéba, attendris-lui la viande ! Cela le rendra plus docile ! Ordonne François en se redressant brusquement, les traits durs.

Comme s’il n’attendait que cela, l’un des colosses s’avance, armé d’un nerf à bœuf pour cingler férocement la poitrine et le ventre du Bâtard Rouge qui étouffe stoïquement ses gémissements.

Ce n’est qu’après une bonne vingtaine de coups que le vilain méchant Gouverneur lève la main pour mettre fin au supplice. Il se penche sur Odon pour plonger son regard au fond des yeux turquoise.

- Alors ?

- Alors c’est bon… ça suffit comme ça… tu complètement dingue ! Baise-moi puisque c’est ce que tu veux. Répond le métis qui ne dissimule plus sa grimace de douleur.

- Kéba et Obi, écartez les jambes de cet homme pour je puisse le tringler comme il le mérite ! Ordonne François.

Le regard fou, le garçon blond tient son phallus turgescent à pleine main. L’escrime et l’équitation ont durci ses muscles qui saillent de manière impressionnante. Il attend que les deux gardes saisissent les chevilles du prisonnier pour relever et écarter ses jambes. Il s’agenouille sur le lit et s’enfonce brutalement jusqu’à la racine du sexe dans la rosette offerte à lui.

Odon ne peut retenir un cri rauque. Il serre les dents quand son violeur cramponne ses couilles et sa queue pour les broyer. Il lui semble revivre le cauchemar de son viol par les sbires de l’ancien gouverneur. Avec sur le visage comme un masque, François le besogne furieusement, bestialement.

Le rostre de son tourmenteur lui saccage les tripes et l’oblige à éjaculer en longs spasmes. Il renonce et s’abandonne au douloureux plaisir en s’efforçant de maintenir son regard dans le regard dément de François. Ce n’est que lorsque le regard d’Odon vacille qu’un orgasme fantastique explose dans le ventre de son violeur.

Ses pulsions sauvages et incontrôlables étant assouvies, la réalité s’impose brutalement au jeune Gouverneur qui semble surgir d’un rêve obscur. Pétrifié comme le serait un somnambule brusquement réveillé, il contemple avec une expression égarée l’homme qu’il vient de violer.

- Que suis-je en train de faire ? Balbutie-t-il, les yeux hagards.

- Certainement des conneries. Lui rétorque le Bâtard Rouge avec un sourire goguenard.

Quoiqu’il ait déchargé comme un fou, François ne parvient pas à débander. Toujours à l’intérieur du beau gaillard enchaîné dont l’anneau palpitant étrangle son membre, il regarde autour de lui. Les oreilles bourdonnantes, il tente de rassembler ses pensées mais Odon ne lui en laisse pas le temps. Redressant la tête ce dernier s’adresse aux gardes :

- La plaisanterie a assez duré, les mecs ! Badou, enlève-moi ces putains de chaînes et toi Issa, passe-moi de la pommade cicatrisante de mère Teresa sur le torse. Cette grosse brute de Kéba m’a fouetté comme un sauvage !

- Pardonne-moi chef, mais je ne maîtrise pas ma force. S’excuse le dénommé Kéba, tout penaud.

- Ce n’est pas grave, Kéba. Tu as bien tenu ton rôle ainsi que tes potes. Je suis content de vous. Félicite Le Bâtard Rouge avec un petit rire juvénile.

Les quatre colosses noirs ronronnent de plaisir d’être ainsi complimentés par leur grand chef. Sous les yeux effarés de François, Badou déverrouille les bracelets d’acier tandis qu’Issa enduit délicatement d’onguent le torse du métis après avoir soigneusement lapé le sperme qui le maculait.

- Tu connais ces hommes ? Bafouille le jeune Gouverneur complètement ahuri.

- Bien sûr, ce sont des cousins de Rocco comme d’ailleurs tous les autres gardes de ton palais. Je suis plus en sécurité à Fort Royal que toi-même, mon petit François. Lui répond Odon en caressant la joue de Kéba qui est en train de lui pincer gentiment les tétons pour se faire pardonner.

- Tu as donc des hommes à toi partout en Martinique ?

- Oui, en Martinique et dans les autres îles de l’archipel. Maintenant François tu serais bien gentil d’ôter ton gros zob de mon petit trou. J’ai eu ma dose pour ce soir mais si tu as encore du jus, Badou et Obi se feront un plaisir de te sécher les couilles. Ce sont experts. N’est-ce pas les gars ? Suggère Le Bâtard Rouge en se relevant.

Impatients de prouver leur talent, Badou et Obi s’emparent du méchant gouverneur pour le pomper voracement cependant que Kéba et Issa, transformés en valets de chambre, rhabillent avec déférence le Grand Corsaire du Roy.

- Adieu François ! Dit Odon en prenant la porte.

Comment pourrait lui répondre l’amant félon bâillonné par l’énorme bite congestionnée de Obi alors que Badou lui aspire consciencieusement ses ultimes gouttes de foutre ?

Le bâtard rouge descend majestueusement l’escalier de marbre sous les regards sceptiques des notables Antillais agglutinés comme un troupeau de dindons et tel Cendrillon remonte dans son carrosse alors que sonnent les 12 coups de minuit. Sous le fouet du cocher, le piaffant équipage s’envole, emportant Odon dans les lointains obscurs de la nuit martiniquaise.

Les mois ont passé et l’époque des cyclones est de retour. Courroucée par le comportement scandaleux de son fils François, la marquise de La Foufolle est repartie intriguer à Versailles à bord d’un vaisseau de ligne. Nous pouvons parier que durant les 60 jours de traversée de l’Atlantique, du mousse au capitaine, l’équipage ne connaîtra guère le repos.

Malgré les délicates attentions que lui prodiguent les gardes kéba, Obi, Badou et Issa, François se morfond. Submergé par une colère toute orientée vers lui-même, il s’épuise dans la salle d’armes et dans des chevauchées démentes. À la limite de la maigreur, il a le muscle dur et sec et doit se branler comme un fou pour trouver de sommeil. Combien il regrette d’avoir humilié l’homme qu’il adore…

Dans ses rêves il crie le nom d’Odon mais ses bras se referment toujours sur le vide. Combien de lettres n’a-t-il pas écrites pour demander pardon mais elles sont toutes revenues non décachetées. Désespéré, il a même envoyé son confesseur Gaétan Boxon plaider sa cause. Ce dernier est revenu bredouille mais apparemment satisfait de son séjour à Beauregard.

- Alors Gaétan, le Comte de Dutonnerre vous a-t-il entendu ? Serait-il prêt à m’accorder un entretien ? Questionne le Gouverneur anxieusement.

- Je ne le crois pas Votre Excellence. Le Comte refuse d’aborder toute conversation vous concernant et j’ai pourtant déployé des trésors de diplomatie, vous pouvez m’en croire. Affirme le confesseur.

- A-t-il été courtois cependant ?

- Fort courtois, Votre Excellence. Le Bâtard Rouge est un hôte parfait. Après un dîner fin il m’a convié à une plaisante partie de bilboquet. J’ai pu ainsi bénéficier des talents du quartier-maître Rocco. Remarquable !

Malgré son dépit, François ne peut s’empêcher de sourire. Choisir son confesseur comme ambassadeur était habile mais le Comte de Dutonnerre a le sens de l’humour et se moque de lui en lui renvoyant son abbé diplomate avec un cul écarquillé.

- Il faudra donc que j’y aille moi-même. Décide-t-il.

- Avec votre escorte, cela s’entend.

- Non, j’irai seul et sans escorte. J’emporterai mes pistolets et mon épée dans mes fontes. Cela sera bien suffisant.

- Mais vous pouvez faire de mauvaises rencontres, Votre Excellence. Des marrons rôdent dans les collines. Ils ne vous épargneront pas s’ils vous rencontrent. S’inquiète sincèrement Gaétan Boxon.

- Je m’en fous ! Je partirai demain après avoir présidé le conseil des îles.

Confortablement botté mais simplement vêtu d’un pantalon de toile et d’une chemise de coton comme un créole du peuple, François chevauche. Il lui aura fallu presque cinq heures de trot pour atteindre le domaine du Comte de Dutonnerre. Cyrus, son pur-sang anglais manifeste sa fatigue en renâclant. L’encolure couverte d’écume, il ralentit l’allure.

Depuis un bon moment, François se sent observé. Des guetteurs invisibles ont déjà dû avertir le Bâtard Rouge de son arrivée. D’immenses Zamanas ombrent à présent le chemin de leurs branches tentaculaires. Au pied de l’un de ces titans, le voyageur distingue un cavalier accompagné d’un homme à pied. Ils semblent l’attendre. C’est au pas qu’il se dirige vers eux.

Odon le toise d’un regard glacial. Torse nu, seulement vêtu d’un pantalon court, le sang mêlé monte à cru un magnifique étalon bai brun à la robe luisante. Sa chevelure tressée est rassemblée sur sa nuque par un lien de cuir. Il n’est pas bavard :

- Laisse ton cheval à Piccolo. Il va l’amener aux écuries pour l’abreuver et le bouchonner. Toi, monte en croupe avec moi.

La fatigue s’abat soudain sur les épaules de François. Sans un mot il met pied à terre et tend les rênes au mousse qui enfourche Cyrus pour disparaître dans la forêt. Toujours silencieux, il saisit la main que lui tend Odon pour l’aider à bondir en croupe derrière lui.

L’esprit vide, il enlace la taille mince et dure du cavalier qui l’emporte dans un galop rapide. La musculeuse monture ne semble guère embarrassée de ce poids supplémentaire et file comme le vent. Plaqué au dos nu de l’amant qu’il a perdu, le jeune Gouverneur ferme les yeux. Il s’emplit les narines de l’odeur subtilement musquée de la peau cuivrée. Contre sa poitrine, entre ses bras et ses cuisses, il perçoit le jeu des muscles puissants de l’homme et de l’animal. Chauds, fermes et souples.

Jamais de sa vie il n’avait encore ressenti une telle fusion entre le corps et l’esprit. La notion du temps lui échappe et il est tout surpris quand Oron arrête son cheval. Ils sont sur une plage. Ils sont sur la plage où tout a commencé. Plage maudite et merveilleuse qui lui semble si différente aujourd’hui.

Après avoir mis pied à terre et attaché sa monture à un tronc d’arbre, le Bâtard Rouge se dénude et se dirige vers les vagues grondantes de sa démarche chaloupée. Il n’a pas prononcé un seul mot.

- Odon, attends-moi ! Lance François sans obtenir de réponse.

Voyant que le grand métis entre dans l’eau et s’éloigne maintenant du rivage d’une brasse souple et puissante, il se laisse choir sur le sable en grommelant pour arracher ses bottes et se dévêtir. Il sait qu’il nage comme un boulet de canon mais il suivra quand même Odon. Il ne sera pas dit qu’il a fait tout ce chemin pour rien ! Cette bourrique devra entendre ce qu’il est venu lui dire ! Sacrebleu !!!

C’est très résolu que le garçon blond entre à son tour dans les vagues. Il marche dans l’eau jusqu’à perdre pied et commence à barboter en direction d’Odon qui lui semble si loin maintenant. Bousculé par la houle, François surnage bien davantage qu’il ne nage. Une vague un peu plus méchante que les autres l’enfonce soudain dans les eaux mouvantes. Il s’étonne de voir si longtemps tant de grosses bulles d’air sortir de sa bouche avant de perdre conscience.

C’est comme du feu dans ses poumons quand il revient à lui. Il vomit, crache et tousse lamentablement entre des bras énergiques qui le soutiennent et le secouent. Il distingue confusément des yeux turquoise.

- Ça va ? Interroge une voix qui lui semble parvenir de très loin.

Dans la confusion de ses pensées, ces deux mots lui font éclater le cœur de bonheur. Le ton de la voix était anxieux et peut lui prouver que son sauveur tient encore à lui. Odon aurait pu le laisser se noyer tranquillement. Quel bon débarras cela aurait été pour lui !

- Ouais, ça va. Merci à toi de m’avoir sauvé. Parvient-il à croasser.

- Décidément, il va falloir que je t’apprenne à nager parce que je ne vais pas passer mon temps à te sortir de la flotte. Plaisante le Bâtard Rouge, rassuré.

- Quand ça m’apprendre à nager puisque tu ne veux plus me voir ?

- Ouais tu as raison je n’ai plus envie de te voir depuis ton petit guet-apens minable. Mais dis-moi, qu’est-ce que tu viens foutre sur mes terres ? Tu sais que tu n’es pas le bienvenu à Beauregard, pas davantage que sur la Bloody Mary. Tu le sais ?

- Oui je le sais. Je suis venu pour…

Le jeune homme est interrompu par une nouvelle quinte de toux et recrache encore de l’eau en se serrant la poitrine. Glaires aux lèvres, il est dans un piteux état, guère séduisant.

- Reprends ton souffle, tu m’expliqueras cela après. Lui dit Odon en lui tapotant le dos.

Un long moment, assis en tailleur, les bras croisés sur la poitrine, François reste silencieux. Odon a laissé une main posée sur son épaule et ce contact lui fait un immense bien.

- Je suis venu te demander pardon. Reprend-t-il à mi-voix.

- Pourquoi cela ? Ironise le métis.

- Parce que je me suis comporté comme un imbécile avec toi. Je ne comprends pas encore comment j’ai pu agir de la sorte alors que j’étais si heureux de te retrouver. J’ai tout gâché. Je suis un con.

- Ça tu peux le dire. Mais c’est uniquement pour venir me demander pardon que tu as exténué ton beau cheval ?

- Non, je suis venu aussi te dire adieu.

- Adieu ?

- Je vais bientôt partir, Odon. Le Roi exige ma présence à la cour de France. Il veut me connaître et les désirs du Roi sont des ordres. Une flotte commandée par le Grand Amiral Gédéon de Gromachin est en route pour venir me chercher et m’emmener de gré ou de force à Versailles.

- Autrement dit, papa Loulou veut voir à quoi ressemble son ixième bâtard. Il ne va pas être déçu, j’en suis certain. Avec une belle pouliche comme la Marquise de La Foufolle, il n’a pas raté son coup. Ricane amèrement le Bâtard Rouge.

- Ne te moque pas, Odon. Selon les courriers de ma mère, le Roi veut me nommer Maréchal de France. Après cela, jamais plus je ne pourrais revenir aux Antilles, jamais plus nous ne nous reverrons. Mais peut-être est-ce mieux ainsi car jamais tu ne me diras que tu m’aimes.

- Pourquoi te dirais-je que je t’aime, mes actes ne te suffisent pas ? S’étonne le corsaire.

- Non ! J’ai besoin que tu me le dises car sans cela notre aventure n’aura eu aucun sens. Dis-le-moi, ne serait- ce qu’une fois. Supplie François en avançant une main vers l’homme qui fut son amant.

- Je ne peux pas, je ne veux pas !

- Pourquoi ?

- Parce que l’amour est un dieu sans pitié que je crains et qu’il est contre nature d’aimer un homme. J’ai le désir de ton corps depuis notre première rencontre sur cette plage mais je me refuse de t’aimer comme je pourrais aimer une femme.

- Pourquoi pas ? Explique-moi.

- Parce qu’avant de te rencontrer je n’avais jamais baisé avec un autre garçon que Castoro. Mais entre nous deux il ne s’agissait que d’un jeu, d’une complicité si tu préfères. Jusqu’à l’âge de 18 ans j’étais ce que l’on appelle un homme à femme. J’étais insatiable. Puis je fus violé presqu’à mort par les sbires du Gouverneur. Durant les quatre années qui suivirent j’ai vécu comme un moine. Il m’était impossible de faire l’amour avec quiconque tant j’avais été humilié et blessé dans ma chair, mais un soir tu es venu sur cette plage et tu as embrassé ma fleur de lys infamante avec candeur. Ton geste m’a troublé. C’est pourquoi je t’ai épargné.

Odon se tait un moment, les yeux rêveurs. François respecte son silence et attend que les mots s’écoulent de nouveau. Il observe le profil net et les longs cils qui s’abaissent et se relèvent avec lenteur. Le Comte reprend la parole d’une voix assourdie :

- Pour la première fois depuis si longtemps j’ai éprouvé de l’attirance pour quelqu’un et ce quelqu’un était hélas un homme et cet homme c’était hélas toi. Je savais ou plutôt je croyais pourtant que tu étais le fils de l’homme que je haïssais de toute mon âme. C’était le pire qui puisse m’arriver.

- Maintenant que tu sais que Phileas de La Chambraère n’était pas mon père mais que je suis un bâtard de Louis XV, qu’est-ce que tu éprouves pour moi ? Interroge François.

- Je te désire tout autant. De toute façon notre relation ne fut jamais autre que sexuelle, alors ne viens pas nous encombrer avec des sentiments de femmes. Nous sommes des hommes et nous agissons en hommes. Nous nous soulageons les couilles quand elles nous font mal, un point c’est tout. Répond péremptoirement le Grand Corsaire du Roy.

- Tu me sembles cependant très doué pour aimer un homme autant que pour lui vider les couilles. Murmure le garçon blond en posant un baiser sur les belles lèvres du sang-mêlé.

Les yeux clos, l’homme brun accepte la langue qui s’insinue timidement entre ses dents mais reste figé comme une statue. De lourds nuages parcourus d’éclairs se sont amoncelés au-dessus de l’Océan, annonçant un violent orage. C’est l’occasion pour le Bâtard Rouge de changer de sujet :

- Nous allons retourner à Beauregard. Tu seras mon invité cette nuit parce qu’il n’est pas question que tu reprennes la route avec ton cheval fourbu. De plus, après ta petite noyade tu dois être fatigué. N’est-ce pas ?

- Merci pour ton hospitalité que j’accepte volontiers, Odon. C’est vrai que je suis cassé et qu’une nuit de repos sera la bienvenue. Pourrais-je dormir avec toi ? Demande le jeune Gouverneur.

- Oui François, nous dormirons ensemble… mais chastement. Sourit le beau mulâtre.

C’est au petit trot que les deux hommes rejoignent la belle demeure créole qui les accueille dans sa paisible fraîcheur. À peine ont-ils franchi le perron que l’orage menaçant éclate et fait résonner la vallée de son tonnerre. La pluie fait comme un rideau devant les vérandas, brouillant le paysage.

- Quand tu auras bu ta limonade à l’anis, Pin-Leu s’occupera de toi. Il va te requinquer en un tournemain, c’est le cas de le dire. Annonce le Bâtard Rouge en tendant un grand verre à François.

- Puis-je savoir qui est Pin-Leu ?

- Pin-Leu est mon masseur chinois. C’est aussi un guérisseur de renom et un maître des arts martiaux. Il est doux comme un agneau mais très énergique dans son travail. D’ailleurs le voici qui arrive. Annonce Odon en se tournant vers le nouvel arrivant.

Vêtu d’un pagne minuscule, Pin-Leu a la taille et le volume d’un grizzly. Il a les yeux bridés comme tout chinois qui se respecte et des bras gros comme des cuisses. Il a un visage enfantin et de son crâne tondu jaillit une épaisse tresse de cheveux jais qui lui dégringole jusqu’à la raie des fesses.

- Salut Pin-Leu. Sois gentil de faire un massage tonifiant à notre ami le Gouverneur qui en a bien besoin après sa journée chargée. Dit le bâtard Rouge en s’allumant un cigarro cubain.

- Le Gouverneur !?! Mais je vais l’étrangler plutôt que de le masser !!! S’écrie le chinois d’une voix aiguë de châtré.

- Du calme, Pin-Leu, ce gouverneur-là est un gentil gouverneur. C’était le gouverneur précédent qui était un méchant gouverneur que je t’aurais volontiers laissé étrangler. Ricane Odon en tirant une majestueuse bouffée de son cigare.

- Vous êtes sûr que ce gouverneur est un gentil gouverneur, Monsieur le Comte ? S’inquiète l’oriental.

- Presque sûr, mon bon Pin-Leu. Tu peux le masser sans crainte. Bon, à présent je vais aux cuisines pour demander qu’on nous prépare des accras pour ce soir. J’ai comme une petite faim. Pas toi François ?

- Tu ne vas quand même pas me laisser seul avec ce mastodonte qui n’aime pas les gouverneurs ! Bredouille François.

- Ne sois pas inquiet. Pin-Leu va te faire beaucoup de bien. Si tu ne le contraries pas, il sera très gentil avec toi. Répond le créole en s’éloignant dans les profondeurs de la demeure

Le jeune Gouverneur n’a pas le temps d’ouvrir la bouche que déjà le Chinois s’empare de lui pour le dévêtir et le jeter sur un petit lit de repos qui trône sur la véranda. Des mains énormes s’abattent sur lui pour l’huiler de la tête aux pieds avant de lui malaxer les muscles comme de la pâte à pain et faire craquer consciencieusement chacune de ses articulations. Complètement désossé et pas très rassuré, François ne pipe mot alors que le gigantesque masseur ne cesse de marmonner entre ses dents.

- C’est bien vrai que vous êtes un gentil gouverneur ? Interroge finalement ce dernier en lui broyant les muscles fessiers.

- Euh… je ne sais pas mais je ne crois pas être aussi cruel que mon prédécesseur. Répond courageusement François.

- Alors c’est bien. Je ne vais donc pas utiliser l’huile du Dragon pour continuer de vous masser.

- L’huile du Dragon ?

- Oui c’est de l’huile au piment rouge mêlée à de l’huile de poivre noir que j’utilise toujours pour masser les boyaux des méchants. Explique Pin-Leu d’une voix étrangement radoucie.

- Il n’est pas question que tu me masses les boyaux, Pin-Leu ! S’alarme le beau blond.

- Ayez confiance, Votre Excellence. Vous avez besoin d’un massage de votre moi profond et je vais utiliser pour cela l’huile de la Félicitée du Phénix.

- C’est quoi ça ?

- C’est une huile à base de graine de pavot que j’utilise pour délasser Monsieur le Comte de Dutonnerre quand il a du vague à l’âme. C’est un produit absolument sans danger et garanti bio. Répond suavement le kinésithérapeute oriental en introduisant déjà deux énormes doigts dans le petit trou du jeune gouverneur.

Grace à l’huile miraculeuse, la main experte du géant voyage bientôt dans le ventre du jeune homme qui est alors précipité dans une jouissance des plus ténébreuses. La moitié de lui-même s’insurge contre cette intrusion éprouvante mais l’autre moitié supplie qu’elle aille toujours plus profond.

Le regard planant et les lèvres articulant des paroles muettes, François décharge dans la bouche gourmande du masseur qui le manipule comme une marionnette.

- Mais enfin Pin-Leu !!! Veux-tu bien retirer ton bras du rectum du Gouverneur General des Antilles Françaises !!! C’est quoi ces manières ? Ne t’ai-je pas interdit de fister mes invités sans ma permission ??? Beugle le Bâtard Rouge qui vient de surgir dans la véranda.

- Pardonnez-moi Monsieur le Comte mais je vous demanderais de faire moins de tapage car vous perturbez la transcendance du souffle vital de mon patient. Je suis en train de revitaliser le Yang du jeune Gouverneur pour l’équilibrer avec le Yin qui prédomine trop dans son Ch’i amoureux. Explique gentiment le masseur Taoïste avant de s’éclipser discrètement en emportant sa science, ses huiles et ses baumes.

- Qu’est-ce qu’il se passe ? interroge innocemment François complètement stone, la paupière lourde et le cul béant.

- Il se passe que je ne peux pas te laisser un instant seul sans que tu ne fasses des folies de ton corps ! Braille Odon, hors de lui.

- Quelles folies ? Je n’ai rien fait de mal. Où est passé Pin-Leu ? S’étonne le beau blond qui semble s’éveiller d’un rêve extatique.

- Pin-Leu est parti avec ses copains Yin et Yang ! Et toi, comment te sens-tu après ce massage en profondeur ? Es-tu revigoré ?

- Je me sens merveilleusement bien et j’ai une envie folle de baiser. Répond le garçon blond avec un sourire béat.

- Pour la baise il faudra faire ceinture mon pote, en tout cas avec moi. Je n’ai pas l’intention de faire des galipettes avec un mec qui se tape tous les mâles de la Martinique ! Tu es un véritable obsédé du cul !!! C’est pas croyable !!!

- Tu ne vas tout de même pas nous faire une cathédrale à cause de ce petit incident. Après tout, c’est toi qui as eu l’idée de me faire masser par ton gros pervers de Chinois. Je n’avais rien demandé, moi ! Je suis une victime dans cette histoire !!!

- Mais…

- Ne serais-tu pas en train de me faire une grosse scène de jalousie ? C’est bizarre que tu réagisses comme ça puisque tu prétends ne pas m’aimer. Qu’est-ce que ça peut bien te foutre que je me tape tous les gars des Antilles, hein ?

Odon éclate de rire en entendant cela. Il regarde avec tendresse ce garçon incroyable qui a bouleversé sa paisible vie de pirate en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Beau joueur, il ébouriffe d’une main bourrue la crinière d’or de François puis se calme.

- Tu as raison, cela n’a aucune importance. Nous allons dîner et ensuite aller nous coucher. Les accras aux crevettes sont délicieux et j’ai sorti pour toi un flacon de vieux rhum dont tu me diras des nouvelles. Invite-t-il en conduisant son hôte dans la salle à manger.

François ne prend pas la peine de se rhabiller et le Bâtard Rouge arrache également ses vêtements pour profiter de la fraîcheur de l’orage qui continue de pleuvoir et de gronder. Piccolo qui fait le service, comme d’habitude, se glisse de temps à autre sous la table pour vérifier la rigidité des phallus des deux jeunes hommes qui se goinfrent en échangeant des sourires et des amabilités.

Ce n’est que bien plus tard que les deux compères s’écroulent sur un vaste lit pour s’endormir aussitôt comme des bébés repus. Leurs ronflements d’ivrognes sont étouffés par le fracas de la pluie qui continue de marteler inlassablement la toiture de la demeure créole.

Au petit matin, les joues ombrées par une barbe naissante, Odon et François se regardent comme s’ils se découvraient. L’orage s’en est allé et un léger vent chasse ses derniers nuages. Couchés côte à côte comme des gisants, les deux hommes n’osent se toucher.

La main glissant vers la main de l’autre pour l’effleurer timidement, ils se regardent sans sourire puis brusquement François empoigne la chevelure d’Odon pour écraser ses lèvres sur sa bouche. Odon referme alors les bras sur le torse de son amant retrouvé en acceptant son impétueux baiser.

C’est dans un silence total que les deux jeunes gens font l’amour comme jamais ils ne le firent. Leurs yeux disent ce que leurs bouches refusent de dire. Un plaisir glorieux les noue l’un à l’autre mieux que ne le ferait une chaine d’acier. Il s’agit d’un instant de plénitude qu’accorde rarement l’éternité.

Paisibles mais toujours silencieux ils restent étendus un long moment sur la couche froissée en se tenant par la main. François se redresse enfin pour poser un dernier baiser sur les lèvres d’Odon puis se glisse hors du lit.

- Je sais maintenant que je ne pourrais jamais vivre sans toi. Murmure-t-il en se redressant.

- Ne dis pas de sottises. En France tu rencontreras une foule de jeunes et beaux seigneurs et tu m’oublieras vite. Répond Odon d’une voix sourde.

- Jamais ! Jamais je ne t’oublierai ! Je suis prêt à mourir pour te prouver combien je t’aime !!!

C’est en chevauchant à ses côtés que le Bâtard Rouge raccompagne son amant à Fort-de-France. Mais arrivés devant le palais, il tourne vivement bride et s’éloigne au galop suivi de sa troupe. Sans un seul mot d’adieu

François voudrait le rattraper mais déjà le majordome a saisi la bride de son cheval et s’adresse à lui :

- Votre Excellence, le Grand Amiral, aujourd’hui débarqué de son navire venu de France vous demande audience.

- Déjà ! S’exclame le jeune homme en se raidissant.

La mort dans l’âme, il descend de cheval pour se rendre dans la salle d’audience où l’attend son visiteur. Il ne prend pas le temps de se changer et c’est donc dans une tenue débraillée et poussiéreuse qu’il s’avance vers la délégation française. Sa mise ne change en rien sa prestance.

À son apparition, tous s’inclinent respectueusement. N’est-il point désormais un haut personnage ?

- Messieurs, épargnez-moi vos révérences, nous sommes entre gentilshommes, rien de plus ! Dit-il d’un ton abrupt.

- Votre Excellence, vous êtes à présent Duc et Maréchal de France. Le protocole exige de saluer ainsi les Grands du Royaume. Lui rétorque aimablement le Grand Amiral.

Le Grand Amiral Gédéon de Gromachin est un homme intrigant et très ambitieux. Il n’est pas question pour lui de faillir à sa mission. Le roi lui a ordonné de lui ramener son bâtard et il le lui ramènera, que ce soit de gré ou de force. François a parfaitement compris qu’il n’est plus qu’une petite souris entre les griffes de ce gros matou. Il tente cependant le coup :

- Je sais pourquoi vous êtes là, Amiral, mais sachez que je n’ai nullement l’intention de vous suivre à Versailles. Dites cependant au Roi que je suis sensible à son aimable invitation.

- Permettez-moi de vous dire qu’il ne s’agit pas d’une invitation, Votre Excellence, mais d’un ordre sans appel ! Le Roi exige votre présence à la Cour de Versailles et il sera fait selon son bon vouloir. Susurre le Grand Amiral en plissant les yeux.

Deux semaines plus tard, portant haut la bannière de François de La Chambraère, Marechal de France, Le Triomphant, imposant vaisseau de ligne de 118 canons fait voile vers l’Europe. Il est escorté de deux vaisseaux de 74 canons et de quatre frégates de 32 canons. Sa Majesté le Roi Louis XV a exigé que son bâtard aimé voyage en toute sécurité sur cette mer des Caraïbes si pleine de danger. Le Grand Amiral Gédéon de Gromachin a donc pris moult précautions. Il est bien déterminé à ramener le garçon récalcitrant à son royal paternel.

Accoudé au bastingage, c’est l’âme déchirée que François voit l’île de la Martinique s’éloigner à l’horizon. Jamais plus il ne pourra revenir dans l’île de sa jeunesse. Jamais plus il ne pourra tenir dans ses bras ce corps superbe qui porte l’odeur des embruns. Jamais plus il ne reverra Odon.

- Ne soyez pas si triste, François. Mon petit doigt me dit que tout n’est pas fini. Dit une voix familière.

Le jeune homme tourne la tête pour découvrir le Marquis de la Chevillette reniflant sa fidèle canne à parfum. Ce dernier a en effet décidé de prendre sa retraite et profite de ce voyage pour rejoindre sa belle Normandie. Grâce à la prodigalité du Bâtard Rouge il pourra mener grand train. Pour François il est devenu comme un ami. Ils ont partagé tant d’aventures scabreuses…

- J’aimerais bien que votre petit doigt ait raison car je suis bien malheureux comme vous le savez, Marquis. Répond le garçon avec un sourire triste.

- Prenez ma lorgnette et jeter un coup d’œil à bâbord, mon garçon. Glousse le vieil homme en lui tendant sa longue-vue.

François se saisit de la lunette et la braque sur l’horizon. Dans sa poitrine son cœur fait un bond. Reconnaissable à sa coque rouge et à sa grande voilure, la Bloody Mary, fend rageusement les flots. Elle remorque une longue barque mais cela ne ralentit en rien sa course impétueuse. La frégate du Bâtard Rouge aura tôt fait de rattraper la flotte.

Jaboté de dentelle, entouré de son rutilant état-major, le Grand Amiral Gédéon de Gromachin s’avance vers les deux hommes et s’adresse au Marquis de la Chevillette :

- Dites-moi mon bon cousin, connaissez-vous ce navire qui a eu l’audace de nous prendre en chasse ?

- Oui, cousin, il s’agit de la Bloody Mary.

- La Bloody Mary ? Vous voulez dire la frégate de ce forban de Bâtard Rouge qui a envoyé par le fond tant de nos navires ?

- Cela est exact Gédéon mais je vous rappelle que le comte de Dutonnerre a été amnistié par le Roi et qu’il est à présent son Grand Corsaire.

- Foutaises que tout cela ! Un pirate reste un pirate et s’il ose s’approcher de nous, je ferai du petit bois de son navire et de la chair à pâté de son équipage de brigands. Tonitrue le gros homme en cambrant la jambe.

- Je vous déconseille vivement de tirer le moindre boulet, cousin Gédéon, car il n’est pas bon d’irriter le Bâtard Rouge. En colère il peut être bien pire que le Léviathan. De toute manière je ne pense pas qu’il fera aujourd’hui usage de ses redoutables canons. Il dispose de bien d’autres arguments.

- De quoi me parlez-vous ? De quels autres arguments s’agit-il ? Expliquez-vous !

- Des arguments de l’amour, par exemple. Répond le Marquis avec un petit sourire en coin.

- Je ne comprends décidément rien à votre charabia ! Grommelle le Grand Amiral en haussant les épaules.

Cependant que les deux officiers conversent, une dizaine d’hommes se laissent glisser le long d’un filin pour embarquer dans la grande barque remorquée par la Bloody Mary. La fine embarcation est une yole qui s’élance après avoir hissé sa voile carrée.

- Que viennent donc faire ces acrobates ? Interroge Gédéon de Gromachin en se vissant une longue-vue à l’œil.

- Ils viennent probablement nous porter un message important. Je ne serais guère étonné d’apprendre que c’est le Bâtard Rouge, en personne, qui barre cette yole. Selon moi, elle file allègrement ses 20 nœuds et ne tardera pas à nous rejoindre. Roucoule de la Chevillette.

Le cœur battant, François ne quitte pas des yeux la voile blanche qui progresse très rapidement vers la flotte. La véloce embarcation se glisse bientôt entre deux frégates d’escorte pour se rapprocher du vaisseau amiral. Il distingue maintenant une silhouette rouge debout à la poupe.

Arc-boutés sur des poteaux jaillissants hors du bastingage, dix hommes à demi nus contrebalancent la gite de la yole lancée dans une folle course à ras de la coque de l’énorme vaisseau de haut-bord.

François, le Marquis de la Chevillette, le Grand Amiral et tout son état-major chamarré se penchent avec curiosité par-dessus le bastingage pour découvrir le sourire éclatant du Bâtard Rouge qui lève la tête vers eux. Mettant ses mains en conque, François hurle :

- Qu’est-ce que tu fous là, pourquoi es-tu venu ???

Odon n’a nul besoin d’utiliser le geste du coquillage pour répondre car sa voix est tonnante quand il crie :

- Je suis venu te dire que je t’aime !!! Rejoins-moi !!!

Plus offusqué que ne pourrait l’être un troupeau de dindons, tout l’état-major se redresse en échangeant des regards scandalisés. L’offuscation atteint son comble quand le Maréchal de France se penche plus encore vers l’eau pour crier à son tour :

- Eh bien dis donc, tu as été long à me le dire ! J’arrive !!!

Le visage radieux, François déboutonne et délace à présent ses somptueux habits d’apparat qu’il laisse choir sur le pont. Il est bientôt aussi nu qu’Adam au jour de sa création. Quelques jeunes lieutenants se surprennent à bander à l’apparition de cette beauté solaire. Médusé, le Grand Amiral croasse :

- Mais que faites-vous donc, Votre Excellence ???

- Je choisis ma vie, Amiral. Dans quelques minutes je serai soit mort, soit heureux. Vous direz à mon père le Roi de France que jamais je n’irai à Versailles. Adieu Messieurs !

Debout sur le bastingage, seulement vêtu de soleil, François écarte les bras pour s’offrir à son amour puis se jette à l’eau. Alors qu’il s’enfonce comme une pierre dans l’Océan, il veut croire que l’homme qu’il aime parviendra à le sauver encore une fois de la noyade et qu’ils vivront heureux à jamais.

Fin

Mes sincères remerciements à mon ami Mascareignes dont les grandes connaissances d’historien généalogiste me permirent d’écrire l’authentique histoire du mythique Bâtard Rouge.

Romain

En avant-première :


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