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18 Mars

Grosse queue
"Plan à 3"
"handgag"

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HISTOIRE

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Premier épisode | Épisode précédent

Le vigneron | Fin

Sur la route du retour, face à un soleil couchant, enveloppé du parfum dense et vrai de la lavande, je sais que je reviendrai bientôt me repaître de mon beau vigneron.

Je ne suis pas du genre à téléphoner pour un oui ou pour un non comme la majorité de mes contemporains mais je me surprends à téléphoner tous les deux ou trois jours au vigneron. J’aime entendre sa voix chaude et chantante. Nous avons toujours quelque chose à nous dire et quand je le menace bêtement de venir bientôt le baiser comme une bête, il rigole et me rétorque :

- Rien qu’de la gueule ! Tu ne me fais pas peur ! Je suis ton homme quand tu veux et où tu veux !

Cela m’excite grave et m’enchante mais pour le moment ses fils Frédéric et Raphaël sont en vacances chez lui et je dois être un peu patient. Il me donnera le feu vert quand ils seront partis.

Il pleut aujourd’hui samedi et l’eau glougloute dans les chenaux de la bastide. Je somnole devant la télé quand le téléphone sonne. C’est un numéro inconnu, mais je décroche.

- Je sais ce que tu vas me dire, alors ne me le dis pas ! M’annonce la voix de Cyril.

Je tombe des nues et j’interroge :

- D’où sors-tu ?

Voilà des mois que je n’ai plus de nouvelles de ce petit fumier. Certes il m’a rendu mon chien par l’intermédiaire d’un ami de passage mais depuis c’était le silence radio. Cela me fait un drôle d’effet de l’entendre mais j’ai les boules. J’aurais fini par presque l’oublier cet enfoiré, maintenant que je nage dans le bonheur d’aimer. Dans le bonheur d’aimer un mec qui en vaut la peine. Dans le bonheur d’aimer Aristide.

- Je suis devant ton portail. Déclare l’aérolithe au téléphone.

Devant mon portail ??? Je me lève pour jeter un coup d’œil par la fenêtre. En effet, tout au fond de l’allée, derrière la grille, il y a une voiture blanche. Sans répondre au visiteur-surprise, je déclenche l’ouverture par télécommande. La voiture se gare devant l’entrée et je vois débarquer un Cyril tout vêtu de bleu. Il a un grand sourire banane quand je lui ouvre la porte. Moi, je tire la gueule.

Cyril a le visage amaigri, ce qui souligne encore plus ses grands yeux et ses lèvres sensuelles. Coupe de cheveux « Hairstyle Naturel » et barbe rase, il est superbe. Des épaules rondes et une poitrine bombée remplissent sa chemise. Tango est aux anges (anges canins) et lui fait la fête.

Mon bouledogue alcoolique est décidément vénal. Il suffit la promesse d’un verre de whisky pour qu’il oublie le maître attentif que je suis. Il lèche le visage du visiteur de son immense langue et pousse des groin-groins de cochon énamouré. Cyril remplit la maison de son rire claironnant.

Il me claque deux bisous sur les joues et le troisième sur les lèvres. Je grommelle en m’enfonçant les poings dans les poches mais quelque chose de chaud me parcourt tout entier. J’avais oublié le charme infernal de Cyril. Me voilà beau.

- Ça sent bon chez toi, Marc. C’est quoi ?

- De la lavande. C’est un ami qui me la donnée. J’en ai mis un peu partout dans la maison. Il m’en a donnée beaucoup. Que je réponds.

- Un ami ? Quel genre d’ami ? C’est un bon coup j’espère ?

- Ouais, c’est un très bon coup… que je rétorque spontanément.

- Mieux que moi ?

- Cela n’a strictement rien à voir. Tu n’es quand même pas revenu pour me faire une scène de jalousie, Cyril ? Tu es quand même gonflé. Tu te casses en embarquant mon chien, tu me laisses des mois sans nouvelles et tu reviens comme une fleur en pensant que je vais passer l’éponge. Tu me prends pour un con ou quoi ?? Que j’éclate.

- Ton chien, je te l’ai rendu. Pas vrai mon tango ? J’avais besoin de compagnie et si tu t’étais davantage occupé de moi, je ne serais pas parti. Je t’ai dans la peau, Marc… tu le sais bien… et pour toi c’est pareil.

- Je rêve là !! Quel toupet !! T’avoir dans la peau, moi ?? Après ce que tu m’as fait subir ?? Décidément avec toi j’aurais tout entendu !! T’avoir dans la peau ??? Jamais !!! Je n’ai plus envie de toi !!! Que je hoquette en le foudroyant du regard.

- C’est ce qu’on va voir ! Me rétorque Cyril en déboutonnant sa chemise.

Interloqué, je le vois se déshabiller au milieu du living. Dans un viril strip-tease, il fait sauter ses baskets, arrache sa chemise et fait glisser son jean le long de ses jambes de marathonien. Wow, qu’il est sexy !

- Regarde ! Je me suis inscrit dans une salle de muscu. Qu’est-ce que tu en penses ? Me balance le jeune salaud en faisant nonchalamment onduler des muscles joliment dessinés.

Cyril était déjà très attirant mais à présent la musculation a conféré à son corps un sex-appeal torride. J’ai un brasier dans le ventre et la folle envie de me jeter sur lui pour le tordre, le briser et le baiser comme une bête. Le garçon lit en moi comme dans un livre ouvert. Il sait que je suis du genre à sauter sur tout ce qui bouge, cet enfant de salaud…

Il écarte les bras et se cambre comme un plongeur pour s’offrir à mes bras qui s’enroulent brutalement autour de son torse étiré.

- Vas-y, venge-toi. Fais-moi tout ce que tu veux, je le mérite. Me dit-il une voix rauque.

Il ne faut pas me le dire deux fois. Je le démonte.

Sous le regard très inquiet de Tango, je plie, je déplie, je replie sans ménagement son copain comme un pantin que je voudrais désarticuler. Nos fringues jonchent le tapis sur lequel nous roulons dans un corps à corps haletant. Ma taille et mon poids sont d’incontestables avantages mais c’est surtout ma rage qui est la plus redoutable. Je vais te tuer, ma salope !!!

J’ai empalé Cyril jusqu’à la glotte et maintenant il a bonnes raisons de beugler parce que je le bourre avec autant de délicatesse qu’un bélier du GIGN défonçant la porte d’un présumé terroriste.

- Tu n’es qu’une pute ! Je vais faire du ketchup avec tes tripes !!! Enfoiré !!! Que je barri.

- Ouais… vas-y… ! Pas de pitié… vas-y !!! Parvient à gargouiller ma proie perforée.

Comme je suis dans un bon jour et que le beau gosse m’encourage témérairement à mettre ma menace à exécution, je m’exécute. Je le lamine, je le défonce, je l’anéanti sous le regard désapprobateur de Tango qui émet parfois un petit gémissement interrogateur. Mais qui donc va lui servir son whisky du soir si je casse son barman adoré ?

Cyril s’installe pour quelques jours, il n’est pas pressé de partir et moi je ne suis pas pressé de le voir partir. Lui et moi trouvons maintes façons d’occuper le temps.

Il est presque midi, il fait chaud, le ciel est stupidement bleu et nous sommes, Cyril et moi, à la piscine. Je flemmarde, vautré sur un transat, admirant le jeu des muscles dorsaux de l’homme qui nage. Le crawl de Cyril est fluide. Son corps est plein d’énergie.

Gavé de soleil, je m’assoupis comme un lézard flemmard quand soudain une gerbe d’eau froide m’inonde de la tête aux pieds. Saisi, je suffoque. Cyril vient de m’asperger. Il glousse, très content de lui.

Je gueule de surprise et d’indignation. Jaillissant de l’eau, le jeune homme éclate de rire et me nargue. Je me lève et fonce sur lui mais il se dérobe et se met à courir vers la pinède. Je le poursuis et tels des gamins rieurs, nous slalomons entre les troncs des pins.

Fou de joie, Tango caracole à côté de son copain. J’ai peine à suivre la foulée souple de Cyril qui se dirige vers le portail du jardin. Là, avec le désir de se laisser capturer, le garçon s’adosse à un tronc pour me provoquer du regard. Qu’il est beau, nu et ruisselant.

Je me jette sur lui pour l’étreindre et l’embrasser à pleine bouche. Derrière la grille de l’entrée, un homme nous regarde. Jean et T-shirt blanc, il a les mains dans les poches. C’est Aristide.

Je suis comme foudroyé et ne sais que faire. M’écartant de Cyril, je me tourne vers Aristide qui est à 4 mètres de moi. Son regard me perfore quelques secondes, il hausse les épaules et tourne les talons. Je crie son nom mais c’est inutile. Un bruit de moteur, une voiture qui s’éloigne. C’est fini.

Cyril me regarde avec surprise. Je dois avoir l’air bouleversé parce qu’il ne dit rien. Il a probablement tout compris mais je m’en fous. Je suis malheureux et en colère contre moi. Avec une lucidité douloureuse je me rends compte que je viens de perdre l’occasion d’être heureux. Dans les yeux d’Aristide j’ai lu tant de déception que je sais qu’il ne pardonnera pas.

Connard que je suis. Je savais pourtant qu’Aristide passerait me voir un jour. Au téléphone, il m’avait dit qu’il ne savait pas quand son acheteur de Grasse lui demanderait de lui livrer sa lavande mais qu’il profiterait de cette occasion pour venir me saluer.

Tout est devenu gris autour de moi. Je n’ai plus envie de rire, je n’ai plus envie de m’amuser, je ne bande plus. Cyril est parti, l’autre matin. Je suis seul. Je téléphone et je retéléphone pour toujours tomber sur la messagerie d’Aristide. Il ne répond pas.

Toutefois, aujourd’hui, Aristide a décroché. « Bonjour Marc, qu’as-tu à me dire ? ». Alors je m’élance dans des explications foireuses. Je parle, je parle et je parle encore pour convaincre, pour mentir, pour me faire pardonner. Mais c’est le silence qui m’écoute. Je suis lamentable. À bout de souffle et de salive je me tais et j’attends une réponse. La réponse est claire :

- Laisse tomber Marc, je n’ai plus envie de te voir. Adieu. Clic !

Assommé, je m’assieds sur le banc du jardin. Je regarde les choses autour de moi sans vraiment les voir. Indifférentes à mon désarroi, des fourmis rousses se baladent entre mes pieds, transportant chacune un petit bout de machin entre leurs mandibules. Des pies se querellent avec des geais et Tango roupille à l’ombre d’un arbousier. Je m’attendais à quoi ?

Pourquoi n’ai-je pas pris la route pour aller frapper à la porte du mas d’Aristide ? Pourquoi ai-je attendu plus de trois mois pour enfin me décider ? Était-ce par orgueil, par honte, par désespoir ? Je crois que c’était tout cela à la fois.

Le parfum de la lavande a investi toute la bastide et m’enveloppe comme un remord. Quand je me branle, je ferme les yeux et je pense au corps d’Aristide. Je le sens alors tout contre moi, serré entre mes bras. Je sens ses muscles rouler sous sa peau. Sa peau qui sent si bon l’herbe sèche.

Je l’entends étouffer ses gémissements alors que je m’enfonce en lui toujours plus profondément. Je sens son souffle sur mon oreille, je l’entends murmurer mon nom. Le bleu de ses yeux me hante. Ce bleu dans lequel je voudrais encore que mon cœur tombe.

Il fait froid. Sur la place du village les platanes sont tristes et griffent le ciel de leurs branches nues. La fontaine est muette et de lourds nuages gris roulent sur l’horizon des collines.

Pourquoi ai-je attendu si longtemps pour revenir dans le village d’Aristide ?

Sur la terrasse du café Les Arbousiers, il n’y a que trois tables mais il fait trop froid pour rester dehors. Je rentre pour boire une bière. Sur l’ardoise, je découvre le plat du jour : escalope veau ratatouille. J’ai faim et je m’attable. La grosse patronne vient prendre ma commande. Je ne peux m’empêcher de lui demander si elle a des nouvelles d’Aristide.

- Oh peuchère ! Aristide ? Le pôvre, qué malheur !!! S’exclame la grosse femme en levant les yeux au ciel.

- Quel malheur ? Expliquez-moi s’il vous plaît. Que je quémande.

- Vous ne le saviez pas ? Aristide a eu un très grave accident… Il y a de ça plus de trois mois !

- C’est arrivé comment ? Que j’interroge, hébété, abasourdi.

- Oh ! C’est avec son gros tracteur que c’est arrivé. Il a voulu dessoucher un terrain très pentu près de la vigne et l’engin a basculé. Il lui a écrasé les jambes. C’est moi qui ai donné l’alerte tard le soir. J’avais comme un pressentiment. Il était revenu de Grasse avec la tête à l’envers. Il était tout chaviré… Je ne l’avais jamais vu dans un état pareil mais il n’a rien voulu me dire. Comme il devait venir manger le soir, j’ai attendu pour savoir.

Je ne me sens pâlir et je m’adosse à ma chaise. La grosse femme en face de moi me vrille d’un regard étrange mais je n’essaie même pas de lui donner le change. Je suis atterré et elle le voit bien. Elle passe machinalement un coup de torchon sur la toile cirée puis continue :

- Il pleurait quand Désiré et Marius l’ont retrouvé coincé sous le tracteur. Il leur criait de foutre le camp et de le laisser crever, là, comme ça… M’annonce la matrone en sortant un mouchoir dans lequel elle se mouche avec fracas.

- Crever ?

- Oui, il voulait mourir. Me répond la grosse en écrasant de tout son poids la chaise en face de moi.

Très professionnelle malgré son affliction, elle se redresse et rugit en direction du bar :

- Marius, ce sera un plat du jour pour le monsieur !!!

- Oui, il voulait mourir. Reprend-t-elle en reniflant. C’était misère de le voir dans un tel état. Ils l’ont emporté à l’hôpital de Toulon et là, ils ont presque failli lui couper une jambe tellement c’était terrible. Il a souffert, je vous prie de le croire, mon pauvre Aristide. Ils l’ont opéré quatre fois ! Des greffes, des plaques, des broches et que sais-je encore… Tout bouleversé comme il était, il n’aurait jamais dû monter sur ce tracteur. C’était du suicide !

- Où est-il maintenant ? Que je déglutis péniblement.

- Il est au mas depuis une semaine. C’est un dur Aristide. Il ne se laisse pas aller. Après les opérations, il est allé en maison de rééducation où il a réappris à marcher avec ses jambes rafistolées. C’est pas croyable mais quand il marche on dirait qu’il est comme avant. Il est fier comme un lion, mon Aristide. C’est un homme pour de vrai, c’est moi qui vous le dis. Conclut la grosse en se levant.

Des acouphènes gigantesques emplissent mes oreilles. Je n’ai plus faim et tout autour de moi, c’est comme un brouillard. Je grignote cependant avant de prendre congé de la sympathique patronne qui me claque d’office un bisou sur la joue. La finaude a bien compris que je m’en allais rendre visite à Aristide.

Les essuie-glaces se balancent sous une fine pluie glacée. Le grand mas d’Aristide se dresse dans l’hiver, fenêtres presque toute closes. Le chêne gigantesque est dépouillé de son feuillage. Je ne crois pas être le bienvenu.

Sur la porte d’entrée, un heurtoir en fonte en forme de tête de lion me dévisage férocement. Le son de mes coups résonne dans le mas de manière impressionnante et j’entends bientôt un bruit de pas. La porte s’ouvre.

Plus bleu que les yeux d’Aristide, ça n’existe pas. Dans le beau visage émacié, ce bleu flamboie. Je suis submergé d’émotion et ne sais comment me tenir devant cet homme qui me regarde, si présent et si distant tout à la fois. Je me sens pitoyable parce que je suis pitoyable.

Le bras gauche appuyé sur une canne anglaise, droit comme un i, le vigneron me dévisage avec froideur.

- Bonjour Marc, tu viens prendre de mes nouvelles ? Me balance-t-il dans la gueule, d’un ton badin.

- Bonjour Aristide, je ne savais pas que… Je voulais te dire que… Que je parviens à bafouiller péniblement.

- Il n’y a plus à rien à dire. M’interrompt-il. Comme tu peux le voir, maintenant je ne suis plus qu’un vieil éclopé, alors passe ton chemin. Va rejoindre ton petit copain. Au revoir Marc.

Calmement, après avoir rappelé son grand chien noir qui était venu me renifler le cul, Aristide referme la porte d’entrée sans bruit, me laissant seul, face au heurtoir de fonte qui continue de me foudroyer du regard.

Il ne me reste plus qu’à remonter dans ma voiture et repartir. Il est 15h10 et je ne sais que faire. Alors je reste. Je ne partirai pas. Je resterai dans mon 4X4 le temps qu’il faudra. Le temps qu’il faudra pour que tu consente à m’ouvrir de nouveau ta porte. J’incline le dossier de mon siège et j’ouvre la radio. J’essaie de réfléchir mais quoique je pense, la conclusion est toujours la même : j’ai agi comme un con, limite comme un salaud. Aristide, tu ne me demandais pas d’être fidèle mais honnête. J’ai été malhonnête avec toi. Ma cause sera difficile à défendre.

La pluie tombe maintenant pour de bon et crépite sur le toit de la bagnole. J’ai froid, je croise fort les bras sur ma poitrine pour rêver de toi. Je te sens et je te vois. Je vois la sueur qui coule dans tes yeux en les brûlant. J’entends le cri qui sort de ta gorge et de plus loin encore. Je sens tes muscles tendus qui frémissent sous mes mains. Quand tu te donnais à moi, c’était totalement. C’était sans retour.

Où es-tu mon Aristide, qu’es-tu devenu ? Que sommes-nous devenus ? Où est-il le merveilleux cabanon dans lequel tu m’emmenais ?

La nuit tombe rapidement et je sais que tu ne m’ouvriras pas. Quant ta porte s’ouvre, c’est pour laisser sortir ton grand chien noir qui trottine vers le bois. Le clébard revient ensuite faire le tour de ma voiture pour lever négligemment la patte sur l’une des roues. Il s’en retourne tranquillement vers le mas et la porte se referme sur lui. Il fait un temps à ne pas laisser un chien dehors. Moi, je suis dehors.

Profitant d’une accalmie, je m’autorise à aller pisser dans un bosquet. Quand je reviens, tu as fermé tous les volets. Je fais tourner un peu le moteur pour réchauffer l’habitacle. Je me prépare à passer la nuit dans la voiture. Quelle est longue cette nuit. Longue, très longue, entrecoupée de réveils lugubres. La pluie ne cesse de tomber. Je trouve une bouteille d’eau dans la boîte à gants mais j’ai un peu faim. J’aurais dû finir mon assiette à midi…

Quand j’ouvre les yeux au petit matin, une faible lueur sinistre éclaire la campagne. La pluie a cessé mais l’air est saturé d’humidité. Tu as ouvert les volets de la cuisine qui est pleine de lumière. Je suis totalement ankylosé et mon dos me fait mal. Quand tu ouvres la porte d’entrée, ta silhouette se découpe sur un rectangle de lumière. T’appuyant sur ta canne, tu t’avances vers ma voiture qui est à une bonne distance de ta maison. Je baisse la vitre et tu me dis simplement : « viens, le café est prêt. ».

Tu as déjà tourné les talons et je te suis, les articulations craquantes. Il fait chaud dans ta cuisine qui sent bon le café. Penaud, je m’assieds sur la chaise que tu me désignes. Tu places un bol devant moi que tu remplis de café chaud. Tu fais glisser le sucrier dans ma direction puis tu retournes préparer les toasts. Tu ne dis pas un mot et moi je ferme ma gueule. Je suis tout heureux et je me fais tout petit. Sans te retourner, tu me demandes sur un ton imperceptiblement moqueur :

- Tu as bien dormi, Marc ?

Je ne peux m’empêcher de pouffer de rire. Alors tu te retournes avec un sourire qui me catapulte au Paradis. Tu poses sur la table les toasts chauds, le beurre et la confiture puis tu t’assieds en face de moi. Il me reste assez de courage pour affronter ton regard bleu. Il se passe un long moment avant que je ne baisse les yeux. Tu as peut-être lu en moi ce que j’essaie de te dire. Nous mangeons en silence. Je garderai à jamais en moi le souvenir de ce bien-être qui me réchauffe et m’apaise.

- Je me sens responsable de ce qui t’est arrivé, Aristide. Que je parviens à articuler d’une voix enrouée.

- Non, ce n’est pas de ta faute, Marc. Je t’aimais trop… Je me faisais des idées, voilà tout. Me réponds-tu calmement.

Avec ton index, tu traces des dessins invisibles sur le bois de la table. Tes lèvres s’arrondissent en une légère moue et je vois battre tes cils. Tu sembles au bord des larmes. Tu reprends :

- Quand je t’ai vu avec ton jeune Apollon, j’ai compris que je ne faisais pas le poids. C’est vrai qu’après, j’étais tout chamboulé, mais je n’aurais pas dû grimper sur ce tracteur pour aller arracher des souches presque à la nuit tombante. Il faut être con comme la lune pour faire une chose pareille. C’est bien fait pour ma gueule.

- Tu ne m’aimes donc plus, Aristide ? Que j’ose demander.

- Je ne sais pas… Je t’en veux tellement, Marc. Tu n’étais pas là quand j’avais besoin de toi. Et pourtant, je t’ai appelé quand j’étais coincé sous ce putain de tracteur. Je t’ai appelé parce que je ne pensais qu’à toi… je t’ai appelé longtemps quand j’étais sur mon lit d’hôpital, mais tu n’es pas venu parce que tu avais des choses plus intéressantes à faire… Dis-tu avec un petit rire amer.

- Mais… comment j’aurais pu… ?

- Oui je sais, c’est complètement idiot de dire ça. Tu ne pouvais pas le savoir, mais je crois que si tu m’avais vraiment aimé, tu aurais senti que j’avais besoin de toi. Soupires-tu.

- Mais j’ai senti, Aristide ! J’ai bien senti que quelque chose n’allait pas… j’étais seul tu sais, et je pensais tout le temps à toi… mais j’avais peur.

- Peur de quoi ?

- Peur que tu me dises que c’était fini entre nous. Vraiment fini. Que je balbutie lamentablement.

- Tu as eu tort. C’est vrai que je t’aurais très mal accueilli, mais j’aurais été si heureux que tu viennes. Pour moi le téléphone ça ne compte pas pour ces choses-là. Quand on aime quelqu’un, on ne lui passe pas un simple coup de fil, on vient le lui dire en face. Rétorque-tu sèchement.

Jamais on ne m’avait adressé des paroles aussi cruellement justes. Et pourtant, je les mérite bien ces paroles qui me font très mal. Je me lève et vais m’agenouiller entre les jambes de l’homme assis et je pose mes mains sur sa poitrine. Il me regarde avec un fantôme de sourire sur les lèvres. Il me regarde avec les yeux d’un marin qui largue les amarres pour s’éloigner dans un long voyage. Cela je ne le veux pas. Je veux rester avec lui, je veux qu’il reste avec moi. Je voudrais parler mais je n’y arrive pas. Ça se coince dans mon gosier. Alors je me racle la gorge en étouffant du mieux que je peux ce bruit déplaisant.

- Aristide, je ne vais pas te demander pardon. Ce ne serait pas suffisant. Laisse-moi seulement rester à côté de toi. Encore un jour, une…

- Une vie ? M’interromps-tu avec un sourire désabusé.

- Pourquoi pas ? Que je m’entends répondre spontanément.

- Bonne mère ! Tu ne t’imagines quand même pas que tu vas me trouer le cul le restant de mes jours ! Je n’y survivrai pas ! Éclate-tu de rire.

Tu me repousse gentiment pour te lever. Tu te remets debout avec une facilité déconcertante en ne t’appuyant que légèrement sur le dossier de la chaise. Tu me regarde de toute ta hauteur car je suis resté à genoux. Puis dans un geste provoquant tu déboucle ta ceinture pour faire glisser ton pantalon et m’exhiber tes jambes abîmées. D’affreuses cicatrices couturées, rouges et bleues parcourent les tibias et le genou gauche. Est-il possible qu’un jour tes jambes ne recouvrent leur beauté ?

Je ferme les yeux en crispant les paupières et je te dis :

- Pourquoi fais-tu cela Aristide ? On dirait que tu veux me dégouter de toi. Tu n’as pas le droit de faire ça !

- Oui, peut-être… je ne sais pas… c’est pour que tu saches ce que sont devenues mes jambes. C’est repoussant. Souffle-tu en détournant la tête.

- Alors c’est très con de ta part parce que ce ne sont pas tes jambes qui m’intéressent, mais uniquement ta queue et ton cul ! Que je te rétorque sur un ton moqueur en haussant les épaules.

Du coup, Aristide, tu éclates à nouveau de rire et tu tentes de me repousser quand je t’étreins à la hauteur des hanches. Je glisse ma tête sous ton gros pull avachi pour lécher ton ventre plat et musculeux. Tu ris en disant que je te chatouille, alors je te mords. Je me redresse et te bascule sur la table de la cuisine. Tu proteste en me disant que tu ne veux pas parce que tu te sens vieux et moche, mais il est trop tard pour toi. Je remonte haut ton pull et je te bouffe les pectoraux. Je suis comme un fauve affamé qui ne lâchera plus sa proie. Plus jamais.

Je ne crois pas être doux quand je t’arrache ton slip, ton jean et tes baskets. « Je ne veux pas » répètes-tu d’une voix qui s’affaiblit. Je respire ta peau qui sent si bon l’herbe sèche. Je suce ta pomme d’Adam si saillante et ma bouche cherche ta bouche qui s’ouvre avec réticence.

Je te maintiens fermement couché sur la table et tes jambes accidentées pendent dans le vide. Ma langue caresse tes dents et se noue à ta langue pendant que ma main droite s’empare de ton sexe qui se redresse, dur. Dans mon regard tu peux lire ma supplique. Alors, fataliste, tu laisses rouler ta tête sur le bois pendant que je gobe tes couilles soigneusement rasées. Je te mange et te masturbe avec volupté. Plus tu gémis et plus je mouille.

Quand vient le moment où je me débraguette et relève tes jambes, il n’est pas nécessaire que je lubrifie ta rosette parce que mon gland est gluant de précum. Tel une dague qui retrouve son fourreau, mon sexe congestionné à bloc te pénètre jusqu’à la garde et heurte ta prostate dure comme un caillou. Ta poitrine gronde, faisant écho à la mienne. Tu redresses la tête pour me regarder et mon cœur tombe à nouveau dans le bleu océanique de tes yeux. Je t’aime Aristide.

De ma vie, je n’ai connu telle plénitude. Il faudrait que toute vie s’achève ainsi si un Dieu d’amour se donnait la peine d’exister. J’ai un sanglot dans la gorge et je dis :

- Punis-moi, venge-toi, Aristide, mais garde-moi auprès de toi.

Comme il le fit autrefois, dans le cabanon, le vigneron me saisit la tête et m’embrasse à pleine bouche. Notre baiser devient presque une morsure quand nous jouissons simultanément. C’est comme un enfer de plaisir qui incendie mon ventre. À nous deux, Aristide et moi, avons plus d’un siècle mais combien d’éphèbes, aujourd’hui si fiers de leur jeunesse parviendront-ils à connaître cette extase ? Très peu, je le pense, parce que le parcours de l’amour est très souvent une fuite en avant parsemée de beaucoup d’obstacles… et de folles illusions. Si peu de corps et d’âmes font écho au nôtre.

Je suis incapable de calculer le nombre de mes amants. Une profusion, alors qu’un seul m’aurait suffi : Toi, Aristide le vigneron.

Sous le regard jaune de ton grand chien noir, nous nous relevons comme transfigurés et tu me conduis dans ta chambre. Nous nous couchons dans ton lit qui sent la lavande. Avec un sourire coquin tu m’avoues avoir dormi aussi mal que moi, cette nuit. À travers les volets, tu as guetté sans cesse ma voiture. Tu avais peur que je ne reparte en te laissant seul avec tes jambes douloureuses et ton cœur malheureux. Je suis resté, je t’ai attendu, tu m’as accueilli.

À présent, le vent siffle fort autour de ton mas et dans les branches du grand chêne. Tu m’enlaces dans tes bras aux muscles durs et tu me murmures :

- Je ne te pardonnerai probablement jamais, Marc, mais je t’aimerai toujours.

Alors je m’endors heureux, heureux parce que j’ai enfin rencontré l’homme qui m’apprend à aimer. La chaleur d’Aristide m’enveloppe alors que je glisse vers mes ultimes rêves de bonheur.

Une fois par semaine, Aristide moi, après avoir parcouru la forêt en VTT, nous allons manger le plat du jour chez Maryse, la grosse patronne de Les Arbousiers. Elle est toute contente de constater que SON Aristide ne boîte presque plus. Sous le Lycra noir de sa combinaison, le galbe des jambes de mon mec est redevenu très attrayant. Nous nous étranglons de rire lorsque la grosse Maryse nous conte ses tumultueuses amours de jeunesse. C’est-à-dire quand elle avait 40 ans de moins et 50 kg de moins aussi. Elle est très satisfaite de son auditoire qu’elle récompense toujours avec de gros bisous… et un dessert offert par la maison !

Sur la place du village, c’est à nouveau le printemps, les platanes arborent un feuillage tendre et la fontaine chante sa complainte. Là-bas, en Provence, il y a deux mecs, plus très jeunes, qui s’aiment tout simplement sans se poser trop de questions. Puis viendra le vent qui emportera leur histoire, loin là-bas, dans le temps.

Romain

Romain

TOP AUTEUR 2020 ROMAIN

TEXTE IMPLIQUANT DES MINEURS,
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Cousins rebeu | 13 | +1 Meetmemz
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Entre vrais mecs | 11 | +1 Meetmemz
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Les secrets de la cité de mes rêves | 19 | +1 Fabrice
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